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Eléments pour une réflexion sur les styles religieux dans l’Algérie d’aujourd’hui

Insaniyat N° 11 | 2000 | Le Sacré et le Politique | p.43-63 | Texte intégral


Elements for thought on religious models in Algeria today

 Abstract: In spite of a bulk of Literature on the new religious model (Islamism) particularly during these last ten years, it doesn’t seem to us a sociological and anthropological view point, that we are in so far as much, better advanced on the knowledge of this new religious phenomenon. Moreover, it seems although it’s emergence be the result of a long job of making new religious categories. These are built on a self effacement of categories conveyed by the traditional religious model out lawed as much by the action of religious remodelling in the 1930’s and 40’s as by a bureaucratic management of the religious field. In other respects, we don’t exclude shifts from one religious model to another. What seems to us to have however been neglected by the literature on the current religious situation, is justly the slow procedure making this new religious model at the same time as a tendency to focus more and more on the remake of a political link from a religious place rather  than analysing the model itself. Besides, these approaches conceal empirical religious realities still functioning to the advantage of ostentatious demonstrations of a new religious model starting from this observation, we suggest returning to an approach, which for the moment, should pay great attention to the accumulating field data from local places.
This it seems to us, brings out the most controllable angle for a researcher and is also the most fruitful. The example set in the second part of the article demonstrates this theme.


Mohamed Brahim SALHI : Sociologue, Université de Tizi-Ouzou, Département d’Architecture, 15 000, Tizi-Ouzou, Algérie
Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle, 31 000, Oran, Algérie


La contribution que nous nous proposons de développer est une somme de réflexions et de données accumulées et que nous avons tentées de fédérer ici.

La remarque d’un collègue étranger au sujet d’une communication que nous avons faite sur la situation religieuse dans la société algérienne des années 40/50 et ce au cours d’une réunion scientifique en 1997, précisément après l’été sanglant de cette année là, nous a laissé longtemps dubitatif. En effet la question qui nous a été posée, en toute bonne foi, portait sur les choix des objets dans le champ religieux et des moments historiques. Pourquoi les chercheurs du cru particulièrement, se détournent-ils de la conjoncture si chaude et qui appelle des «explications» ou des analyses de l’intérieur? Implicitement nous avons senti le reproche: est-ce que, en allant fouiller dans le milieu du 20è siècle, on ne se donne pas quelque part une sorte d’échappatoire aux risques du métier. En l’occurrence ce métier de sociologue, d’anthropologue, qui consisterait à fabriquer, en vertu de la compétence, des explications qui mettraient donc intellectuellement un peu d’ordre dans ce grand désordre empirique. Après réflexion, nous avons fini par répondre à cette question. D’abord, il ne nous semble pas, et c’est une évidence ailleurs, que le chercheur soit tenu dans des moments particuliers de se faire le chroniqueur des événements qui se déroulent sous ses yeux. Ensuite, il convient de s’avouer que dans ces conjonctures, les attentes d’explications peuvent induire une sorte de « science des urgences sociales» qui aurait pour vertu de domestiquer ce qui est inconnu, inédit, et sans doute aussi d’accentuer telle ou telle autre idée en circulation. Cela induit aussi des demandes de consommation intellectuelle, particulièrement exogènes, qui incitent à produire quelque chose pour témoigner de ce qui se produit à l’instant. Tout cela ne nécessite pas de jugements de valeur ni de polémiques inutiles. Mais de notre point de vue il y a un moment de gestation, de maturation, de retour sur ses propres catégories et sur la posture du chercheur- individu ordinaire, qui est nécessaire pour distinguer le fait de conjoncture, les fantasmes ordinaires, les peurs légitimes à l’échelle de l’individu, de l’objet de recherche construit. Il faut aussi certainement un retour sur l’histoire et sur la mémoire parce que depuis longtemps la science ne croit plus au phénomène de la génération spontanée. Enfin, la construction d’un objet ressemble à notre avis plus à un jeu de puzzle où par un patient tâtonnement le joueur identifie et rassemble une à une les pièces pour dessiner la figure. Or, c’est notre sentiment, pour certains objets comme celui dont il sera question, nous pensons que toutes les pièces ne sont pas encore rassemblées, que des trous ne sont pas encore comblés et que donc le travail consiste à poser ce qui existe et voir ce qu’il peut suggérer comme nouvelle recherche de pièces et, chemin faisant, comme premières figures possibles. Ce sont ces quelques idées qui seront développées dans la suite de cet article.

I. Le style religieux traditionnel entre disqualification et amnésie

A moins de revendiquer une sorte d’objectivité béate, il n’est pas possible pour le chercheur de ne pas ressentir une gêne lorsqu’il est question de tenter une explication de la situation religieuse actuelle. En effet, l’objet pour nous chercheur du cru, n’a rien d’un objet ordinaire. Il est même brûlant mais aussi très glissant dans la mesure où nous ne pouvons pas assurer de le prendre par un bout qui soit toujours tenable. Et d’ailleurs en existe-t-il un ?

Ensuite, se pose la question de la mobilisation des outils qui permettraient de rendre compte d’une situation où l’imbrication entre politique, religion, et violence est attestée. De ce point de vue, il n’est jamais facile de prétendre accéder aux catégories qui structurent les conduites des nouveaux acteurs quand ces dernières, dans bien des cas, ont soutenu le geste qui donne la mort. Le chercheur est pris dans un véritable dilemme entre ce qui lui apparaît comme humainement absurde et ce qui constitue pour lui un objet d’étude donc quelque chose d’explicable. Il n’est pas toujours évident d’occulter son émotion au nom d’un objectivisme plat. De plus, nous sommes à bien des égards coincés entre les usages possibles de l’explication qui peut parfois être réappropriée comme justification de ce qui manifestement ne saurait se justifier, tout au moins à nos yeux. Avouons par ailleurs que le problème de la distance intellectuelle fait moins problème que la sensation d’être désarmé intellectuellement face à un phénomène que l’on n’imaginait pas, y compris dans nos prospectives les plus pessimistes. Peut-être faut-il se dire aujourd’hui que nos catégories intellectuelles, celles avec lesquelles nous avons fonctionné dans les années 1970/80, ne nous permettaient pas de le voir se profiler ainsi.

Il existe sur cette question (notamment sur l’islamisme politique) une épaisse littérature dont il faudra d’abord faire un inventaire critique car de notre point de vue, il y aurait plus d’hypothèses et de pistes de réflexion que d’explications à proprement parler. Nous n’avons pas le sentiment d’être forcement mieux avancé sur la compréhension sociologique de ce phénomène qu’il y a une décennie. Nous sommes simplement plus édifiés sur ses traductions politiques  et militaires, et bien entendu, sur les conséquences tragiques qu’il a induites. Mais nous sommes frappés par la tendance dans une large part de la littérature, le prenant pour objet à le présenter comme une sorte de génération spontanée. En effet, nous avons l’impression que ce courant religieux aurait en 1989/90, jailli presque de nulle part et envahi une société prise à défaut. Cette dernière serait désabusée par un système politique qui lui aurait tout promis et rien donné. Elle se serait donc mise à espérer un messianisme qui lui fournirait quelque raison d’espérer des jours meilleurs ici-bas, et, gagner le Salut en plus par la conformation à quelques rituels vestimentaires et alimentaires. Le nouveau courant religieux favoriserait en outre une réinvention d’un nouveau type de lien social fondé sur le retour à des sources religieuses qui auraient été délaissées et en tout cas que la conjoncture aurait corrompu.

En somme les lectures les plus courantes sur ce nouveau phénomène religieux s’inscrivent dans une perception où le lien religion-politique est primordial. C’est plus la refondation du lien politique à partir d’un lien religieux que l’avènement d’un style religieux et son processus d’élaboration qui est mis en perspective. L’objet religieux lui-même est relativement occulté[1]. En effet pour paraphraser C. GEERTZ, si l’islamisme (lui, parle de la religion) «peut bien être une pierre lancée dans le monde, il n’en faut pas moins qu’elle soit palpable et que quelqu’un la lance»[2]. Il n’est pas certain que cette pierre ait été lancée par hasard dans la dernière décennie du vingtième siècle en Algérie simplement à la faveur du retournement des conditions de vie des algériens et du fait que les modes de gestion politiques soient devenus insupportables pour la majorité même s’il paraît plausible que ces éléments jouent un rôle à la fois de révélateur et d’accélérateur. Il y a un long travail d’élaboration et de changement religieux qui, à notre avis, est beaucoup plus lointain.

Fanny COLONNA montre, avec des arguments très forts et incontournables,comment se met en place au court des années 1920/40, dans la foulée du réformisme une«structure cognitive totalitaire». Elle explique en outre que «Si la période 1920-1940 fut si importante en Algérie, si elle pèse si lourdement sur le présent, c’est qu’alors a été profondément lésée avec les meilleures intentions du monde - restaurer une nation et un Etat indépendants - la diversité religieuse et intellectuelle qui constituait le matériau même de la société, de ses forces intellectuelles et de sa vision du monde»[3]. La manière dont le style religieux réformiste procède à la mise hors la loi du style religieux traditionnel dans le cas précis qu’elle décrit à savoir l’Aurès[4] est significative d’un basculement profond dans le champ religieux et social et indique à notre avis à peu près le moment où la fameuse pierre dont il a été question plus haut est lancée. Il reste à comprendre comment et qui au cours de son long cheminement s’en est saisi pour en reprofiler les contours, lui tracer une trajectoire et enfin en amplifier la vitesse et le fracas en fin de course.

Des analyses tendant à mobiliser la profondeur historique (en dehors des travaux de F. Colonna évoqués plus haut) pour retrouver quelques indices de ce fondamentalisme ou/et de type d’expression religieuse similaire, ont quelque peu atténué cet effet génération spontanée[5]. Nous avons nous-mêmes, en essayant de comprendre les modalités mises en œuvre par le réformisme pour disqualifier l’autorité des saints et des confréries au milieu du 20é siècle, conclu que dès cette époque s’opère une profonde brisure dans le champ religieux qui laisse apparaître une articulation entre des types d’intérêts religieux et des différenciations sociales en cours d’une part et l’apparition dans le sillon réformiste de nouvelles conduites religieuses propres aux couches urbaines de la société et à la bourgeoisie commerçante des villes et des gros bourgs de colonisation[6]. Les luttes religieuses du milieu des années 1950, sans revêtir la violence que nous avons vécue depuis une décennie, n’en étaient pas moins rudes, vigoureuses verbalement et parfois physiquement. Des questions sur qui est le plus compétent pour parler au nom des croyants, qui doit détenir légitimement le monopole du Salut et des biens religieux, sur le rapport au politique, sur la «vraie» histoire de la religion des algériens, sont dès cette époque posées et la polémique est déjà engagée. Les anathèmes, les menaces d’excommunion sont pendantes[7].

Mais il y a plus. Une imagerie du style religieux traditionnel et donc du passé religieux de la société va baliser durablement la socialisation des générations post-1960, surtout avec la routinisation[8] de la réformation religieuse dans l’action de la bureaucratie religieuse après la mise en place de l’Etat national. Nous savons que cette bureaucratie religieuse[9] a veillé à imposer dans les processus de socialisation institutionnels, notamment l’école, une version de l’histoire religieuse algérienne dépouillée de sa profondeur historique et qui restructure les repères et l’imagination des jeunes générations autour du moment fondateur du réformisme, avec des sauts parfois dans l’histoire plus ancienne qui enjambe une histoire sociale et religieuse épaisse.

Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple frappant, l’insurrection de 1871 est évoquée, notamment dans les manuels scolaires, comme celle d’El Mokrani (ce qui est juste) et d’El Haddad (ce qui est vrai aussi) mais sans référer explicitement à la tariqa Rahmaniya. Quand elle est mentionnée, c’est pour son rôle politico-militaire et pas au-delà de 1871[10]. On peut tout aussi bien prendre l’exemple de la tariqa Qadriya, à laquelle appartient l’Emir Abdelkader, qui est occultée. La Cheikhiya dans le Sud-ouest, dont la résistance à l’occupation française est vigoureuse, n’est jamais présentée comme tariqa, même si on fait cas de la tribu religieuse qui lui donne corps, à savoir les Ouled Sidi Cheikh. Les ‘Assiwiya et les ‘Ammariya ou encore la plus jeune tariqa algérienne, la ‘Alawiya (1920-25), ne figurent pratiquement pas dans le système de référence historique en usage dans la fabrication des manuels scolaires ou même d’ailleurs dans grands nombres de travaux universitaires.

En revanche, dans la vie religieuse courante, les rituels liés à ce style religieux sont présents, et en certains cas bien vigoureux et objets d’une demande assez forte. Cela a été largement vérifié par Sossie Andezian pour la région de Tlemcen (‘Assiwiya), pour la Rahmaniya et les Ammariya en Kabylie, par nous[11]. Il y a plus, cette année même, donc en pleine période de polémique religieuse, l’on a pu voir à la télévision algérienne des troupes de chants religieux ‘Assawiya. Mais ce qui est frappant, c’est le fait que chez les jeunes générations, le référent lié à la nature du style religieux traditionnel soit opaque. La pratique qui se donne à voir n’est pas articulée avec une histoire et des significations religieuses précise; elle se moule dans le registre folklorique tout au plus et au mieux. Nous avons pu vérifier cela chez des étudiants travaillant sur les chants religieux en Kabylie, qui ne font pas l’articulation avec le registre des pratiques confrériques, notamment le dhikr, qui donne sens à leur objet. Celui-ci est, avec beaucoup d’efforts et peu d’épaisseur intellectuelle, invariablement classé dans le champ de la «religion populaire», c’est-à-dire différent de la «religion officielle» ou pour le contexte des années 1990 de la nouvelle prophétie concurrente: L’islamisme. En plus, quand on est en Kabylie, il n’est pas rare que nos jeunes chercheurs s’imaginent que, somme toute, il s’agit en plus de la différence linguistique, d’un trait particulier de la culture locale. En disant cela, nous voulons simplement pointer le très fort ancrage des catégories inculquées dans la socialisation religieuse, par l’école particulièrement, qui occulte les réalités de l’histoire religieuse et qui a façonné une mémoire sélective qui ne permet pas de voir, ni de penser le style religieux traditionnel autrement que comme une relique.

Partant de cet effacement (au sens premier du terme), on peut imaginer que dans la décennie 1990, la mise en circulation de l’argument religieux contre une subversion religieuse (l’islamisme) décliné ainsi «la religion telle que pratiquée pendant 14 siècles» (ou «par nos ancêtres») sonne comme une réhabilitation tardive du style religieux traditionnel, qui, historiquement est le style dominant avant l’émergence de la réformation religieuse. Le séminaire des chefs de zawiyas, sous le patronage du chef du gouvernement dans le feu de l’affrontement avec le Front islamique du Salut[12], annonce autant la levée de l’amnésie qu’une tentative dans le champ religieux d’un rapprochement entre les agents de la bureaucratie religieuse et des agents encore actifs du style religieux traditionnel autonomes ou annexés[13]. Nous ne pensons pas que cette démarche ait pu remuer beaucoup de choses chez les franges les plus jeunes de la population et surtout en milieu urbain. La profonde ignorance de l’histoire religieuse de la société algérienne dans sa diversité empirique, le reflux du style traditionnel sur des activités rituelles sans grande visibilité et sans vocation et instruments de reproduction, les nouveaux intérêts religieux articulés sur des demandes de radicalité dans la contestation du système politique, la massification de la circulation de discours religieux exogènes par les moyens audiovisuelles (cassettes audio de l’égyptien Kichk, prêche du frériste Al Ghazali à la télévision algérienne, disponibilité de livres religieux à des prix modérés y compris les écrits de Hassan El Banna ou d’un Qotb), la convergence du discours scolaire sur le religieux et du discours ambiant dans les mosquées en phase de reconquête par le nouveau venu dans le champ religieux (l’islamisme), l’épopée iranienne et soudanaise, la fascination des faits d’armes de la résistance islamiste afghane à l’une des plus grandes puissances militaires dans les années 1980, constituent un puissant vecteur d’acculturation au plan religieux (si on pense à l’histoire religieuse de l’Algérie reléguée et mise sous silence) qui advient dans une société qui fonctionne avec des catégories qui ne lui permettent pas de voir, et à plus forte raison de vivre, et d’assumer, son passé religieux autrement que sous le mode de la péjoration. Justement la péjoration et le rapport un peu honteux au passé religieux, tel que vécu par des générations d’algériens, n’est ni la fabrication de la bureaucratie religieuse seule, ni de l’islamisme seul, mais des deux ensembles. Et l’élaboration d’un tel rapport à soi, est inaugurée par l’action de refonte religieuse des années 1930/50. Nous sommes conscients que nous forçons quelque peu le trait, que probablement nous passons à côté de détails qui méritent d’être relevés (l’action pédagogique moderniste des réformistes, la diversité des profils des islahistes et d’agents de la bureaucratie officielle)[14], mais nous pensons que globalement l’ambiance générale est bien celle que nous esquissons ici, c’est-à-dire, une mémoire religieuse fondamentalement marquée par une néantisation du passé religieux algérien.

Pour compléter le tableau, il est possible d’ajouter, hors du champ religieux, que l’échec de la modernisation entreprise après 1962, accentue d’autant la quête de modèles plus «authentiques». La contestation politique des années 1980, s’exprime d’abord dans l’identitaire, c’est-à-dire une quête de soi avant de se traduire politiquement(et ensuite militairement pour une frange importante de la mouvance islamiste). En somme, il a fallu qu’un long travail visant l’ancrage de nouvelles catégories pour penser le monde, systématiser l’oubli de ce qui fut, le refoulement de ce qui est vu comme relictuel (les expressions présentes et passés du style religieux traditionnel), la suspicion de ce qui est solidaire d’un système politique fortement contesté (la bureaucratie religieuse), pour permettre aux nouvelles idées religieuses de devenir les certitudes que les adeptes traduisent en conduites religieuses. Il est difficile de notre point de vue d’expliquer à des générations qui ont toujours appris qu’avant la réformation religieuse des années 1930/40, il n’y avait qu’obscurantisme (absence de lumière) qu’imposture, charlatanisme, que la zawiya est le contre-type de l’institution correcte, qu’il faut brutalement se raviser. C’est même exactement ce qui, dans la conjoncture actuelle, conforte la conviction chez les adeptes du nouveau courant religieux, d’une résistance à leur entreprise par la manipulation de ce passé religieux tant délégitimé et refoulé et donc qu’il s’agit d’un argument suspect.

Il est évident que le drame engendré par le passage d’une frange importante de la mouvance islamiste à l’action militaire, avec une rare férocité, pose le problème de la stratégie politique de ce courant, de l’imbrication politique- religion et induiront certainement de ce point de vue un reflux de ce courant dans sa version actuelle. De notre point de vue cependant la légitimité des nouvelles conduites aux yeux de ceux qui y adhérent, le substrat religieux sur lequel elles reposent, la configuration de la mémoire religieuse (particulièrement ses référents structurants) des jeunes générations restent des questions posées. Il faut d’abord s’attacher à comprendre ces conduites en elles-mêmes c’est à dire comme des pratiques religieuses qui font sens pour les acteurs et qui agissent le monde (ou sont censées l’agir). Et de travailler à une histoire sociale de la religion qui retourne aux faits, qui les met à jour dans leurs diversités. Ainsi nous pensons que les mouvements religieux dans l’Algérie contemporaine doivent être étudiés non plus dans des approches d’ensemble mais à partir de lieux plus locaux. Dés lors il sera possible de comprendre comment au sein de notre société ni la réformation religieuse ni l’islamisme n’ont eu la même destinée et le même impact. Les nuances que peut introduire une démarche plus «miniaturiste», permettra, au moins dans un premier temps, de comprendre que les retournements dans le champ religieux ne procèdent pas forcément de la lame de fond qui submerge et aplatit au même moment et de la même façon, tous les groupes constitutifs de la société. En même temps, il est probable qu’à des échelles plus saisissables pour le chercheur des articulations, des permanences, des récurrences puissent être mises à jour et ouvrir des pistes de réflexion fécondes. Plus concrètement, il nous semble plausible que la circulation de nouvelles idées religieuses comme c’est le cas au début des années 1980 en Algérie, est plus sensible dans des groupes ou des catégories plus portées à la moralisation et à une rationalisation des attitudes religieuses (rupture avec le ritualisme empirique caractéristique du style religieux traditionnel)[15]. De la même façon, il semble bien que les catégories caractéristiques du nouveau style religieux soient plus audibles chez ceux dont la mémoire du passé religieux de la société algérienne est d’une faible profondeur ou chez qui ce passé en question est perçu et vécu de façon plutôt honteuse et péjorée. De ce point de vue, il n’est pas étonnant que le milieu urbain soit l’espace privilégié (mais pas exclusif) du nouveau venu dans le champ religieux. C’est dans ce milieu qu’émergent pour des raisons liées aux conditions sociale et économique, des attentes «d’un message systématique capable de donner un sens unitaire à la vie, en proposant à ses destinataires privilégiés une vision cohérente du monde et de l’existence humaine et en leur donnant les moyens de réaliser l’intégration systématique de leur conduite quotidienne, donc capable de leur fournir des justifications d’exister comme ils existent i.e dans une position sociale déterminé»[16]. De fait, le nouveau message religieux revêt aussi et nécessairement les contours d’une idéologie. Historiquement, l’entreprise de la réformation religieuse a fonctionné aussi de cette façon, avec la nuance qui est liée au contexte de l’époque[17].

Autrement dit, de notre point de vue, quelque part rien n’advient sans antécédent plus ou moins palpable. Antécédent et non pas causalité mécanique et continuité systématique d’un moment historique à un autre[18]. Il est certain qu’une analyse plus fouillée reste à faire et nous admettons volontiers par ailleurs que nous sommes, pour l’heure, en plein tâtonnement mais comme le souligne C.Geertz en matière de changement religieux «on ne sait pas au juste quelle chose il convient d’observer pour y parvenir»[19]. Il faudrait, pour le moment, mettre au moins, à plat, une somme d’indices et de pistes plausibles mais certainement discutables. Cela a l’avantage de sortir des approches d’ensemble qui prennent le risque de la redondance. L’inconvénient de cette façon d’approcher les choses, est de souligner les hésitations, les doutes du chercheur, bref, de renvoyer une image d’inconfort intellectuel face à un objet fuyant qu’il tente de structurer chemin faisant, par bribes successives. Mais, en ce domaine et en ce moment, à quoi peuvent bien ressembler le confort intellectuel et la démarche assurée? [20]

Dans la suite de cette contribution nous allons rester au stade de la «miniature» et poser quelques jalons d’une première réflexion sur la façon dont la Kabylie a été affectée par l’islamisme. Pour l’heure les seuls éléments d’informations utilisables sont ceux constitués par une observation courante accumulée au jour le jour et bien entendu les informations contenues dans la presse. Si une analyse fine reste encore difficile à mener, il est au moins possible de mettre en perspective une somme d’indices utiles pour une première approche ou un premier tâtonnement.

II. Le champ religieux en Kabylie (1970-1990)

Peu avant les premières élections libres de juin 1990, l’idée la plus répandue est celle qui consiste à désigner la Kabylie comme un isolat au milieu d’une Algérie submergée par la montée en puissance du mouvement islamiste. Les seuls signes apparents de la présence islamiste se limitaient aux activités de l’Association «El-Irchad wal Islah» à Tizi-Ouzou-ville, mais plus particulièrement dans la zone nord dite Dechra[21]. Les locaux d’une cantine scolaire jouxtant ce quartier de la ville, ont, en effet, été utilisés à un moment par les nouveaux missionnaires, particulièrement par les«soeurettes», comme on les désignait localement. Il s’agit des militantes d’El Irchad wal Islah.

Le courant représenté par le Front islamique du salut ne se manifeste que timidement. Il est même difficile à cette époque-là de dire qu’il y a réellement un leader local connu si ce n’est quelques figures peu percutantes qui commencent à se faire connaître comme adeptes du nouveau courant religieux. En fait, les prémices annonciatrices de la nouvelle prophétie, particulièrement à la fin des années 1970, ne semblent pas avoir d’antécédents dans cette région. Historiquement le réformisme religieux des années 1940/50, pourtant présent à Tizi-Ouzou, mais aussi dans certaines zones de montagne, n’est pas revendiqué par les anciens islahistes qui occultent dans certains cas, jusqu’à leur appartenance à ce courant. On peut penser, en effet, que le très fort ancrage de la Kabylie au nationalisme radical et donc la faible audience réformiste ne valorisait pas forcément ce type de repères dans les années post indépendance. Nos entretiens avec des acteurs de l’islah local le confirment[22]. Les années 1980, avec l’affirmation de la revendication identitaire amazighe, confinent davantage ces anciens acteurs surtout que déjà la réformation religieuse badissienne et l’islamisme sont soupçonnés d’entretenir le même exclusif à l’endroit de l’identité et de la langue amazighe. Il y a une sorte de voilement de la réalité de la gestation puis de la manifestation du nouveau courant religieux qui est tenu comme insignifiant en Kabylie. Cette dernière serait protégée par un enracinement culturel et identitaire qui ne donnerait pas prise à la nouvelle prophétie.

Sur le plan religieux stricto-sensu, le style religieux traditionnel a, au début des années 1960,considérablement reflué en terme de formation religieuse. Ce reflux est sensible dans les années 1940/50 mais il est différentiel. Certaines régions de Kabylie, comme l’est de la région de Ain-El-Hammam, renferment une densité remarquable d’écoles coraniques actives. C’est le cas des Itouraghs (7 à 8 kms à l’est de Ain-El-Hammam) qui possèdaient 13% des écoles déclarées de la Grande-Kabylie (18 sur 138) et dont une grande partie de la population en âge scolaire était prise en charge par ce réseau.[23]Le réformisme y trouvera, au demeurant, une très bonne audience et la scolarisation dans le réseau moderne est de 0% en 1950[24]. Ailleurs l’enseignement traditionnel n’est pas forcement déserté mais il est surclassé par l’école moderne. Toutefois les grands pôles de scripturalité demeurent encore actifs. Certains seront poussés à une rénovation, sous l’effet d’agents réformistes comme la célèbre Zawiya de Sidi-Abderrahamane-El-Yellouli ou de celle de Cheurfa dans la région d’Azzaga. D’autres, comme Sidi-Mancour ont toujours maintenu un bon niveau d’enseignement et ont par ailleurs placé des éléments dans les institutions de haut niveau comme la Zitouna (Tunis).Enfin, certains établissements ont connu de sérieux problèmes internes notamment des affrontements entre éléments modernistes (réformistes) et conservateurs du lignage gestionnaire, qui a conduit dans bien des cas à des affrontements violents (Sidi-Amar El Hadj-Idjeur -). Au total il est possible de dire que cet aspect de l’activité religieuse demeure bien présente sans que le savoir qui y est donné n’ait le niveau de prestige social de son concurrent moderne. La vie religieuse kabyle, reste par ailleurs dominée, par le ritualisme lié aux saints locaux dont l’autorité ne semble pas avoir souffert des changements en cours, au milieu du 20émesiécle. A titre indicatif lorsque nous dressons un tableau des circuits de pèlerinage pour cette période et celle qui va suivre immédiatement l’indépendance nous sommes surpris par le nombre de sites religieux, recevant des pèlerinages réguliers qui avoisinent les 300 pour ceux qui sont connus[25]. La période 1954/1962,en raison de la guerre est le seul moment de reflux significatif. Dés l’indépendance, les activités de ce style sont réactivées. Mais les signes d’un contrôle de la bureaucratie religieuse se feront sentir au début des années 1970, surtout là où l’extatisme est prononcé. Des zerdas sont interdites, d ’autres sont quasi-clandestines[26]. Le style religieux traditionnel semble se fondre dans une sorte de discrétion à laquelle s’obligent les agents qui en sont porteurs et les institutions qui y sont liées. Par ailleurs, il faut relever le fait que des agents du style traditionnel seront sollicités par la bureaucratie religieuse officielle pour encadrer les activités du culte en milieu urbain et là où les mosquées sont passées sous le contrôle de l’Etat. Le glissement se produit donc d’un style à un autre. De plus un certain nombre d’établissements seront reconvertis en instituts d’enseignement originel dans les années 70. C’est le cas de la Zawiya Sidi-Abderhamane el Yellouli qui devient un Institut de formation de cadres et qui conserve encore ce statut. Ici l’annexion réformiste, dés 1936/39, ouvre directement et explicitement la voie à la mutation vers le style officiel. Le cas de La zawiya de Akhal Aberkhane (Beni-Douala) est plus paradoxal en apparence car elle n’a pas eu de relations particulières avec le réformisme. Mais un personnel religieux assez nombreux de cet établissement et des lignages religieux qui y sont attachés ont eu des relations très suivies avec un établissement réputé rigoriste et proche des réformistes, en l’occurrence la zawiya des Ath-Wareth en Basse-Kabylie (Sidi -Naamane)[27]. Le glissement vers le style officiel peut s’expliquer ainsi. Mais visiblement, dans ce cas précis, il est difficile de dire très exactement ce qui sépare l’annexion par la bureaucratie officielle, en terme de teneur religieuse, d’une opportunité conjoncturelle dans la mesure où on le sait par de multiples indices, les clientèles de cet établissement ont une proximité avec les visions du nouveau courant religieux qui s’affirme à la fin des années 1980. Sous réserve de la mise à jour (encore problématique) de matériaux plus précis, on peut se demander si le rigorisme évoqué plus haut n’est pas, de glissement en glissement, une matrice disponible pour décoder et recevoir les nouvelles catégories qui surgissent dans le sillon de la nouvelle prédication ? Mais ce cas n’est pas sujet à une généralisation dans la mesure où il nous semble atypique. D’autres établissements semblent faire le compromis de passer un contrat pour la formation de cadres religieux au profit de la bureaucratie religieuse officielle, pour conserver leur statut, et survivre à une désaffection des populations qui investissent le créneau moderne (cas de Sidi-Mancour-Timizrat région d’Azzefoun ).

Une évaluation des biens religieux en 1983/84 donne la photographie suivante[28] : 629 mosquées sont recensées sur le territoire de la wilaya de Tizi-Ouzou auxquelles il faut ajouter un nombre important de petites salles de prière ou de petites mosquées de village. 300 de ces mosquées n’ont pas d’encadrement officiel et peuvent ne fonctionner qu’à l’occasion des prières du vendredi ou de celles des fêtes religieuses canoniques. En effet, pour cette époque le personnel d’encadrement émargeant au budget de l’Etat est de l’ordre, tout statut confondu, de 314. Sur le plan de la formation il subsiste encore un réseau actif de l’enseignement coranique, d’abord dans certaines zawiyas et aussi dans quelques mosquées. Officiellement 12 écoles coraniques sont recensées et reçoivent l’aide des services des affaires religieuses. Elles comptabilisent 88 classes et dispensent l’enseignement coranique à 1140 élèves dont 237 filles. Les centres de formation d’un niveau plus élevés sont au nombre de 6 et forment 277 personnes destinées à l’encadrement du culte. Le nombre de formateurs est, quant à lui, évalué à 44. Les comités religieux agrées sont au nombre de 103. Il convient de remarquer que pour le début des années 1980 le réseau traditionnel des zawiyas est encore actif en terme de formation puisque 14 établissements sur les 23 qui ont une activité, dispensent un enseignement religieux parfois de niveau du secondaire. En effet, 6 d’entre eux ont une section de formation agrée par les services officiels du culte. En fait, les vieux établissements religieux de Kabylie n’ont donc pas arrêté leurs activités. Reste à connaître l’origine des élèves. Il semble, selon nos propres estimations portant sur 3 grandes zawiyas, que les tolbas proviennent en majorité de l’extérieur de la wilaya de Tizi-Ouzou[29]. Au total, si le reflux du style religieux traditionnel en terme de formation est réel, comparé au milieu du 20é siècle, il ne disparaît pas .

En revanche, dans son aspect ritualiste il reverdit quelque peu au début des années 80. Une vague de ravalement des qoubbas et d’édifices religieux est un signe annonciateur. Des pèlerinages peu visibles ou en sommeil sont réactivés, y compris ceux ayant un caractère extatique comme c’est le cas des Amariya de Tassaft(Région de Beni-yenni). Les ziaras liées aux fêtes canoniques (mawlud) ou à la ‘achoura’ sont nettement plus animées et attirent des pèlerins plus nombreux. Les services des affaires religieuses indiquent une trentaine de lieux faisant l’objet de ziaras. Ce qui est, à notre avis, très loin de la réalité.

Il serait long d’expliquer ce frémissement de l’activité ritualiste. Il nous semble qu’il s’inscrit dans un mouvement de réinvestissement identitaire. Toutefois, nos observations nous conduisent à penser que cette réappropriation de la sainteté locale ne s’accompagne pas forcément des significations religieuses qui y sont attachées et se moule plus volontiers dans un registre sinon folklorique (qu’on ne peut pas exclure totalement dans les expressions les plus intellectualistes)[30]du moins très relictuel qui sert à requalifier une culture du terroir. Le saint poète, la poésie religieuse, les litanies des khwans de confrérie sont ainsi transfigurés dans un vaste élan qui entend restituer des couleurs et des racines à la «culture du pays».

Au même moment, c’est à dire dans les années 1980, l’islamisme conquiert sourdement des espaces de plus en plus importants. En Kabylie les plaines ouest sont déjà des territoires fortement contrôlés puisque toute la côte Dellysoise est de moins en moins accueillante pour les estivants, soumis à quelques restrictions vestimentaires. Ici, le territoire configuré par les mosquées (passées discrètement au style religieux nouveau) commence à être marqué et doté des signes emblématiques du «nouveau venu» [31]. A Tizi-Ouzou, l’ancienne mosquée jouxtant le quartier nord (Dechra) est le premier point de ralliement des adeptes du nouveau courant religieux[32]. La mosquée du «milieu» dite Lalla Demamaya[33], fait l’objet d’une conquête discrète notamment pour y donner des durus après la prière du soir. La mosquée «Cherfaoui» pour sa part, reste à l’écart de ce mouvement de contrôle grâce à un imam «moderniste» dont la stature faisait rempart à la nouvelle prédication. Il faut aussi noter que cette mosquée implantée en plein centre-ville est issue de la transformation de l’ancienne église de la ville. Financée par la bourgeoisie locale, elle fut longtemps boudée par les «rigoristes» et son encadrement semble avoir échappé aux nouveaux acteurs religieux. Stratégiquement elle n’offre pas non plus, en raison de son emplacement (face au tribunal et à l’axe urbain central), toutes les garanties de discrétion que le «nouveau venu» sur la scène religieuse locale semble rechercher. Dans le cas de Tizi-Ouzou, la «bataille des mosquées» n’est pas un aspect saillant. Dans les nouveaux quartiers urbains (la nouvelle-ville) le chantier de la seule mosquée projetée fut rapidement mis en sommeil privant momentanément les nouveaux adeptes d’un espace de rayonnement. Depuis 1999, la mosquée en question a été partiellement achevée et mise en activité. Les signes extérieurs indiquant le contrôle des islamistes sont tout à fait visibles.

En revanche, à l’ouest de la trouée du Sébaou, Draa Ben Khedda s’illustre par une montée plus nette des nouvelles conduites religieuses et une mosquée en construction est très vite mise sous l’influence de jeunes prédicateurs. L’articulation avec les foyers actifs du nouveau courant religieux de la Basse-Kabylie est plus affirmée. Sur la rive nord du Sébaou Sidi-Naamane et sa région sont acquis à la nouvelle prédication avec une amplitude remarquable et qui ne se démentira jamais tout au long de la décennie 90.

Sourdement et avec beaucoup de précautions dans la démarche les islamistes locaux à Tizi-Ouzou tissent leur réseau. Il n’est pas perceptible et son ampleur n’est pas comparable, à l’est de la région, à la lame de fond qui se dessine par ailleurs sur une grande partie du territoire algérien. Sa discrétion tranche franchement avec l’ostentation et l’agressivité que ce mouvement, dans sa version radicale, affiche en d’autres régions et particulièrement dans les villes. Au début des années 90, la Kabylie de l’Est est plus occupée par une polémique interne fortement animée par un vieux parti du cru (le FFS) et son jeune adversaire (le RCD) et suit lointainement les prestations de la nouvelle prophétie.

La montagne, pour sa part, contrôle en général ses biens religieux et les personnels qui y sont affectés (le plus souvent choisis au sein même des villages). De plus, une réactivation des structures communautaires de gestion villageoise permet de contenir d’éventuelles prédications exogènes[34]. Mais ce que ne dit pas cette apparente quiétude, c’est que le Sud-ouest de la Grande-Kabylie ou même les bordures sud du Djurdjura, ne vivent pas en autarcie et les poussées de l’islamisme dans les régions du sud du Djurdjura (plaine de Bouira et région de Palestro) y sont audibles. Des relations anciennes et denses ont toujours lié, par exemple, le Sud-ouest de la Kabylie du Djurdjura à la région de Palestro et Bouira. En 1940, la filiale réformiste de Draa El Mizan est fondée grâce au soutien des réformistes de ces deux régions et elle est englobée dans le rayon d’action du cheikh Saïd SALHI (principal leader de l’islah chargé du suivi de cette zone). Les flux commerciaux et humains, sont aussi très importants entre les deux zones. Une cinquantaine d’années après, on ne peut pas exclure une permanence de réseaux relationnels qui peuvent soutenir l’émergence d’une prédication bien acclimatée au sud du Djurdjura et qui tentent d’y pénétrer.

Le moment révélateur de la présence d’une clientèle acquise au Front islamique du salut est le scrutin de juin 1990 pour les municipales puis les législatives de décembre 1991. En effet si les campagnes mornes du FIS puis du Hamas (1991) agrémentées tout de même par la venue de personnalités de premier rang (Abassi Madani en avril 1990, Abdelkader Hachani en décembre 1991 pour animer un meeting national à Tizi-Ouzou) n’ont pas retenu une attention particulière, les chiffres révèlent un potentiel de sympathisants ou de militants que l’atmosphère locale rendait imperceptible ou tout simplement de l’ordre de l’épiphénomène aux yeux du grand nombre. Pour la ville de Tizi-Ouzou en juin 1990, le nombre de votants est 10817 sur les 33858 inscrits (effets de l’appel au boycott du FFS). Le RCD arrache de toute justesse une petite majorité (2526 voix) au FIS qui totalise (2327 voix), suivi par le FLN avec (1730 voix). En périphérie de la ville, c’est-à-dire dans les zones rurales de la commune de Tizi-Ouzou le RCD totalise (1093 voix) tandis que le FIS en comptabilise (815). Ce parti compte sur le territoire de la commune de Tizi-Ouzou pas moins de 3142 électeurs, un peu moins que le RCD avec(3619voix)[35]. En décembre 1991, la stabilité de l’électorat islamiste se confirme avec une prédominance du FIS sur le Hamas. Ainsi, la ville de Tizi-ouzou compte 2161électeurs du FIS et 243 du Hamas, soit 11,17% des 21517 citoyens qui ont exprimé un choix et un total de voix cumulées pour les deux sensibilités islamistes de 2404. En zone rurale sur le territoire de la commune de Tizi-Ouzou les voix des deux partis islamistes sont de 758. Le total pour les zones urbaine et rurale est de 3162, soit quelques dizaines de plus qu’en 1990.

L’audience de l’islamisme, si on tient ces chiffres pour révélateurs, n’est pas forcement impressionnante, comparée au total des voix cumulées des deux partis importants dans la région[36], mais c’est assez considérable lorsqu’on s’imagine que ce potentiel est fédéré en l’espace de deux années voire pour une grande partie mobilisé et fidélisé dans les années 89/90, dans un climat général qui ne lui est pas nécessairement favorable localement. A défaut de données permettant de situer précisément l’origine sociale des sympathisants ou des militants de l’islamisme dans cet espace, on peut en affinant les chiffres avancés plus haut et en les croisant avec d’autres données dessiner les contours du milieu social où la nouvelle prédication est sensible.

Dans la ville de Tizi-Ouzou intra muros (périmètre de l’agglomération urbaine), la répartition des électeurs du Front islamique du salut se répartissent ainsi[37] (1990) :

Dechra et cités la jouxtant : 1331, soit 57%.

Centre-ville (ouest) : 296, soit 12,72%.

Nouvelle-ville : 140, soit 6%.

Centre-Ville est  : 97, soit 4,16%.

Tala Allam (ouest du périmètre urbain): 70, soit 3%.

Quartier de la gare routière et cité Bekkar (sud-ouest) : 114 soit 4 ;89%.

Le FIS réalise le gros de son score dans la vieille ville et les quartiers limitrophes constitués à l’est par deux grandes cités réalisées avant 1962 et une cité de regroupement («les baraques») dont la population, sera en partie recasée dans un quartier de la nouvelle-ville. A l’ouest, la Dechra est jouxtée par le quartier «la carrière» dont une partie est occupée par une grande cité de regroupement dont une partie des habitants seront eux aussi relogés à la nouvelle-ville. On relèvera la faiblesse relative du score réalisé par le FIS dans la nouvelle zone urbaine (nouvelle-ville). En décembre 1991, il améliore ce score en mobilisant 218 électeurs (sur 2161 soit 10,08%). Sur la vieille ville et les quartiers limitrophes le score est à quelques points inférieur à celui de 1990 puisqu’il est de 1307 voix (60%). Cependant, dans ces quartiers, la mouvance islamiste dans son emsemble (FIS et HAMAS) fait un score de 1512 voix.

En ce qui concerne les zones rurales en périphérie de la ville le potentiel électoral islamiste (696 voix) se concentre sur trois points : à l’est dans un petit village, Boukhalfa, au porte de la ville avec 40%des voix, sur les montagnes surplombant le sud de la ville dans trois localités : Bouhinoun, Tassadort, et Betrouna avec 26,86% des voix et enfin à l’est de la trouée du Sebaou Abid Chamlal Sikh ou Meddour avec 13,93% des voix.

Sur le plan de la démarche du nouveau courant religieux nous avons souligné, pour la région de Tizi-Ouzou notamment, sa relative discrétion et son souci d’éviter l’ostentation. Il est plausible que la conjoncture locale l’y contraignait. Cependant il déploie une ténacité qui indique une volonté particulièrement chez les leaders centraux de l’islamisme de marquer une présence symbolique qui conforte le credo d’une «représentation exclusive» et totale des croyants. Il ne pouvait, dans l’esprit de ce mouvement, y avoir quelque part un blanc sur le territoire qu’il entend réinsérer dans l’Umma avec au besoin le recours à la rédemption de quelques «égarés». Ou alors ce territoire récalcitrant serait le «bled es sibâa». Il ne nous semble pas, dans le déploiement de l’islamisme local et ses discours, que cette limite ait été franchie. Mais des artifices symboliques ont été mis en œuvre pour fabriquer une image d’une région comme les autres, c’est à dire, virtuellement acquise à la nouvelle prédiction et de longue date. Le tout pour l’islamisme est de «rafraîchir les mémoires», de trouver quelques arguments percutants, d’éviter les excès de quelques jeunes reconvertis, et de réinvestir quelques lieux communs comme par exemple les «dissidences» récurrentes de cette région au pouvoir politique. Abassi Madani n’hésite pas à se déplacer à Tizi-Ouzou et à faire un prêche à la mosquée de la Dechra (avril 1990). Il fait construire une maison aux confins du Mizrana (entre Tigzirt et Dellys). Ce qui ressemble beaucoup à un geste de conquête, surtout quand on connaît la valeur sociale et culturelle attachée à l’acte de bâtir dans la société kabyle. La maison en question est sur la trajectoire de trois saints de cette région maritime à savoir Sidi-Khaled, Sidi-Daoud et Sidi-Boubekeur. Elle est, en outre, à peu prés aux frontières des régions de Dellys-Afir (acquise au nouveau mouvement religieux) et des Ifflissens el bahr plutôt récalcitrants au nouveau message religieux. Ni le geste, ni le lieu (une sorte de poste avancé), ni la proximité des saints locaux, ne sont le fruit du hasard. Il faudra probablement lire de la même façon la destruction de cette résidence symbolique (en 1991) par les habitants de cette ancienne tribu de la Kabylie maritime.

Dans le registre des figures emblématiques le Front islamique du salut en aura trouvé une disponible : celle de Mohamedi Saïd, colonel de l’ALN en wilaya III. Selon toutes les apparences c’est lui qui est préposé aux «affaires kabyles» dans les instances centrales du FIS. En décembre 1991, lors du meeting national du Fis à Tizi-Ouzou, il prend place aux côtés de A. Hachani. Le personnage en question n’est pas un«reconverti» de fraîche date. Connu pour son rigorisme dans les maquis[38],il permet au nouveau mouvement religieux de mobiliser des éléments symboliques fortement attachés à l’histoire nationale revue et corrigée, c’est à dire, accentuée sur le plan religieux[39] et en même temps cette figure est censée avoir une valeur démonstrative de l’intégration de la Kabylie à L’UMA. C’est un symbole fortement intégrateur qui emprunte beaucoup à la logique de l’argument d’autorité. Mohand At Wali (Mohamedi Saïd ), comme le dénomme familièrement les At Frah (Larbaa Nat Iraten) son village natal, est une caution que Le FIS prend soin de mettre en avant au niveau national (en actualisant dans ce cas le chef militaire de l’ALN uniquement). Le personnage n’utilise pas le véhicule linguistique kabyle dans les émissions télévisées (campagne électorale de décembre 1991). En revanche, c’est un candidat du mouvement religieux peu connu, qui est préposé au «prêche électoral» en langue berbère et très précisément dans le parler kabyle (décembre 1991). Enfin ,une personnalité centrale de la direction du Front islamique du salut, Mohamed Saïd, originaire des At Wacif (Sud ouest de Tizi-Ouzou) n’est clairement identifié pour son appartenance régionale (et son véritable nom connu du grand nombre) que lorsqu’il rentre en clandestinité et qu’il aurait rejoint pour la circonstance sa région d’origine[40]. Cela s’explique par l’image soigneusement cultivée d’un mouvement qui entendait être le détenteur exclusif du contrôle des croyants identifiés uniquement par la qualité de leur conviction. Même la mise en avant de Mohamedi Saïd reste implicite, c’est à dire qu’elle ne vaut que par ce qu’elle suggère (ou veut suggérer) .

Le recrutement des militants locaux du mouvement islamiste diffère sensiblement selon la tendance. Le Front islamique du salut cible, de prime abord, les milieux socialement défavorisés et historiquement très peu intégré à la ville et qui se sentent après les années 70 exclus des destinées de celle-ci. Les résultats des deux scrutins en témoignent de façon évidente. Les îlots que constituent la Dechra, les cités nord la jouxtant, le village périurbain de Boukhalfa, sont effectivement des espaces assez particuliers par leur composante sociale mais aussi par le fait qu’il s’agit de communautés introverties coupées à la fois de la ville moderne (coloniale et son extension) et de la région en générale. Les populations transfuges surtout dans les quartiers les plus anciens n’ont pas gardé de liens avec les villages d’origine. Les quartiers les plus récents sur les bordures sud-ouest de la Dechra sont souvent le produit de l’exode des années 50. Les populations qui y vivent, occupent jusqu’aux années 70, pour une grande partie, des habitations précaires.

Des données sur ce secteur de la ville de Tizi-Ouzou conforte cette image d’une communauté urbaine socialement marginalisée dans sa majorité. Le recensement de la population de 1954 indique que les 776 actifs vivant dans cet espace de 64,75 ha (34,41ha pour le village de colonisation auquel il faut ajouter la récente ZHUN-SUD avec 320 ha) sont constitués à 91% par la catégorie des ouvriers et des domestiques (82% sont des ouvriers journalier). 5,54% des actifs sont commerçants, 2,3% sont de petits employés de bureau, 2,19% sont des propriétaires agricoles, 1,6% sont des artisans. En revanche pour la population algérienne de la ville européenne la situation se présente ainsi: 53,84% (84/156) des actifs sont commerçants, ou propriétaires agricoles et entrepreneurs, 14,74% sont artisans (23/156), 16,66% (26/156) sont des employés de bureau, 17,30% (27/156) sont des ouvriers journaliers ou des domestiques. Il ressort nettement que la population algérienne de la ville européenne d’installation récente (1910/1920) est arrivée plus rapidement que le vieux village à amorcer et consolider une ascension sociale par le commerce (rachat des fonds de commerce européens) par le savoir (accès à l’administration plus important même s’il ne s’agit pas de postes élevés dans la hiérarchie administrative) et enfin par la propriété foncière (rachat des terres de la banlieue est de Tizi-ouzou). Davantage encore dans le commerce les kabyles supplantent largement les européens puisqu’ils représentent 68% dans cette activité(70/103). De plus contrairement à la population de la vieille ville celle du bourg de colonisation est restée tournée vers les terroirs d’origine avec lesquels sont conservées de très fortes attaches y compris par le jeu des échanges matrimoniaux et cela sans compter le fait que ces nouveaux venus dans l’espace «urbain» gardent intacts leur sensibilité au style religieux de leur communauté villageoise. Par exemple certaines familles implantées à Tizi-Ouzou depuis le début du 20éme siècle ne comptent aucune tombe dans le cimetière M’douha de la ville. Enfin les deux populations se distinguent par l’usage du véhicule linguistique, celle de la Dechra usant d’un parler arabe local fortement marqué par des emprunts au parler kabyle mais n’a pas perdu l’usage de ce dernier, tandis que le parler kabyle est exclusif pour les populations algériennes de la ville européenne.

La situation de la population de la Dechra semble avoir évolué dans les années 70/80 sans pour autant se transformer fondamentalement dans la mesure où cet espace reste confiné, fermé, et toujours peu intégré à la ville moderne qui subit des transformations de grande envergure à partir de 1969 (plan spécial de développement de la wilaya de Tizi-ouzou). En 1989, la répartition de la population active de la Dechra se décline ainsi[41]: ouvriers 24% (418/1741) agents de services 35,38%, cadres moyens 15,68%, cadres supérieurs 3,5%, commerçants et artisans 19,06%, professions libérales 1,55%. En 1996 cette situation est relativement stable dans la mesure où nous retrouvons à peu près la même tendance dans la distribution sociale de la population active de ce quartier de la ville de Tizi-Ouzou[42] : sur 606 actifs 319 (52,6%) sont ouvriers ou agents de service, 157 sont des cadres moyens et employés d’administration, 130 (21,4%) appartiennent à la catégories des commerçants et professions libérales.

Les indices de la précarité sociale sont lisibles à travers d’autres données. Ainsi en 1989 , alors que le gros des programmes de logement nouveaux réalisés par l’état sont pratiquement livrés ,la population des principaux quartiers de la vieille ville vivent dans des conditions très difficiles puisque 13% seulement des habitations sont considérées comme étant en bonne état alors que 52% sont déclarées vétustes et 33% dans un état moyen[43]. 70% de ces habitations sont de style traditionnel et le plus souvent réalisées avant 1954. Si pratiquement tous les logements sont raccordés au réseau électrique,55% ne sont pas encore alimentés en gaz de ville et 65% ne sont pas raccordés au téléphone. Enfin, le taux d’occupation par logement est de l’ordre de 9,02, plus de 82% des chefs de ménage aspirent à quitter la vieille ville pour les nouveaux quartiers urbains et 6% seulement des chefs de ménage déclarent avoir les capacités financières pour entreprendre une rénovation de leur habitation[44]. Les promesses de la nouvelle prédication religieuse avaient beaucoup de chance d’être entendues par une population en attente de réhabilitation sociale et qui, face au développement extraordinaire de la ville, ne pouvait que se sentir exclue des bienfaits d’une modernisation dont elle s’estime délestée, elle, qui se considère comme la «population souche» de cette ville. Très précisément, le débat sur qui appartient le mieux à la ville, qui en est la«véritable population» semble avoir été aussi un élément qui favorise une cristalisation d’une micro identité de ce groupe en quête d’affirmation en tant que groupe particulier. Nous avons montré dans un autre article[45] comment cette communauté a été plus sensible à l’islah et comment elle

s’est appropriée son message et les institutions qui ont été mises en œuvre par ce courant, pour réaffirmer son identité et la consolider par rapport aux populations européennes de la ville et par rapport aussi aux algériens de plus fraîche implantation. Bien entendu, nous ne pouvons pas dire que nous retrouvons les mêmes acteurs car l’enquête de terrain montre que les anciens islahistes connus, ne se sont pas reconvertis à la nouvelle prédication. Mais il est clair que la situation particulière de ce groupe, a, dans deux moments historiques ,favorisé la pénétration d’un nouveau courant religieux .La marginalité sociale et le besoin d’être reconnu comme groupe et donc en tant qu’identité semble avoir joué un rôle important dans l’audience de l’islah et de l’islamisme dans ce cas particulier. Le groupe en question n’a pas nécessairement perdu sa cohésion c’est à dire que nous n’avons pas à faire au même phénomène que dans les nouveaux quartiers des grandes villes. Ici la configuration serait plutôt quasi-villageoise, avec ses solidarités familiales encore vivaces, le sentiment d’appartenance à une micro- communauté… Nous savons aussi que ce groupe n’a pas historiquement une forte attache avec le style religieux traditionnel, dans la mesure où la présence des confréries est peu importante et que la distance avec les villages d’origine font que l’autorité des saints est très peu affirmée[46]. La meilleure preuve de ce communautarisme est donnée par le choix des candidats aux élections municipales sur les listes du FIS qui sont majoritairement choisis parmi les natifs de la vieille ville. Toute la question reste de savoir si le FIS au niveau central a pensé une stratégie spécifique ou alors, au contraire de ce que dit son discours, les viscosités sociales ont plutôt donné à la nouvelle prédication une allure marquée par le local. Il faudrait sans doute encore d’autres données, plus fines, pour résoudre cette question. Mais nous la retenons comme plausible. De façon générale le poids des réalités locales nous semble important pour instruire, dans un premier temps, des monographies sur les modalités de la présence des différents styles religieux.

Conclusion

Nous pensons que l’exemple que nous venons de développer assez rapidement montre que, pour ingrat qu’il puisse paraître, un travail ethnographique minutieux visant à accumuler des matériaux sur les réalités empiriques et diversifiées sur le plan religieux dans l’Algérie actuelle est celui qui revêt à nos yeux la première priorité au côté de la réévaluation critique des grilles qui se sont imposées dans la foulée des événements récents. Ces dernières

en réduisant les faits religieux aux manifestations les plus ostentatoires, les plus repoussantes aussi, occultent et les modalités réelles et les situations concrètes dans lesquels émergent de nouveaux courants religieux sans compter l’occultation (une de plus) des diversités religieuses Comme si en advenant l’islamisme a clôturé le cycle«fatal» de la néantisation. Comme si aussi quelque part il ne pouvait en aller autrement. Or, cela reste à démontrer avec de fortes données de terrain .Et par conséquent il est clair que nous ne pouvons pas conclure cette contribution par des généralisations qui ne peuvent être que hasardeuses. Nous laissons notre réflexion ouverte, en état de chantier (et bien sûr discutable). Car c’est bien de cela qu’il s’agit: un énorme chantier de recherche qui doit mobiliser autant la compétence scientifique que les réseaux institutionnels autour de programmes de recherche sur nos réalités religieuses dans leur profondeur historique et dans leurs diversités et ce, en mobilisant les outils des sciences sociales modernes.


Notes

[1]- Il faut, en effet, considérer que les débats sur ce qu’est ou n’est pas la véritable religion (l’Islam) des algériens n’est pas d’un point de vue sociologique et anthropologique le véritable problème. Il s’agit moins de rechercher une définition de la religion que comme le souligne Clifford GEERTZ«…de découvrir quels types de croyances et de pratiques soutiennent quel genre de foi et dans quelles conditions ».- In Observer l’Islam. Le changement religieux au Maroc et en Indonésie.- Paris, La Découverte, 1992.- p.15.

[2]- GEERTZ, Clifford.- Op. cité. - p.17.

[3]- COLONNA, Fanny.- Les versets de l’invincibilité. Permanence et changement religieux dans l’Algérie contemporaine.- Paris, Presses de Sciences PO, 1995.- p.23 ; Voir aussi du même auteur: Révolution comme viol du temps.- In Aurès/Algérie, 1954. Les fruits verts de la révolution.- Autrement, série Mémoires, Novembre 1994.- p.p.10-25.

[4]- COLONNA, Fanny.- Les versets…,.- Op. cité, voir très particulièrement: chapitre 9«Une contre-réforme montagnarde».- p.p.289-356.

[5]- Voir ADDI, H.- L’Algérie et la démocratie. Pouvoir et crise politique dans l’Algérie contemporaine.- Paris, La découverte, 1995. L’auteur développe dans le chapitre I, la thèse selon laquelle le «nationalisme culturel» des réformistes algériens serait l’un des premiers signes annonciateur du fondamentalisme et les techniques de mobilisation politique du nationalisme radical rebondiront aussi dans les modes d’organisation de ce courant.- p.p.15-33. Dans un point de vue très récent, l’auteur, en analysant les retournements dans le champ politico-religieux algérien précise davantage la relation réformisme-islamisme, puisqu’il écrit:«moins de trente années après l’indépendance dans les années 1980, ce sont les islamistes, héritiers des oulémas, qui accusent le pouvoir en place de trahir la patrie».- In Violence politique, Islam et ethnocentrisme.- Le Quotidien d’Oran, 30/ 03/ 2000.- p.17.

O. CARLIER, pour sa part, pense que la transition de l’islah vers l’islamisme est assurée par des hommes comme Soltani ou Sahnoun, issus des rangs réformistes. De plus, sur le plan de l’action religieuse, les ressemblances sont frappantes selon l’auteur, qui indique cependant que des différences essentielles existent entre les deux mouvements. In De l’islahisme à l’islamisme: la thérapie politico-religieuse du FIS.- Cahiers d’études africaines. 126 / 1992.- p.p.185-219. Voir aussi son ouvrage: Entre nation et djihad. Histoire sociale des radicalismes algériens.- Paris, Presses de Sciences Po, 1995.

[6]- Voir SALHI, Mohamed Brahim.- Entre subversion et résistance. L’autorité des saints dans l’Algérie du milieu du XXéme siècle.- In L’autorité des saints. Perspectives historiques et socio-anthropologiques en Méditerranée Occidentale.- Paris, E R C, 1998.- p.p.305-322.

[7]- Voir les accusations d’hérésie à l’endroit des confréries religieuses et des lignages saints.

[8]- Dans le sens que lui donne M. WEBER dans : Economie et société.- Paris, Plon, 1971.- p.p.253-261.

[9]- Sur la mise en place de cette bureaucratie religieuse et son action voir Luc-Willy DEHEUVELS.- Islam et pensée contemporaine en Algérie.- La revue Al-Asala, 1971-1981.- Paris, Editions du CNRS, 1991. La notion de bureaucratie religieuse  est utilisée à partir du sens général que lui donne Max WEBER, à savoir un corps sacerdotal, hiérarchisé, rémunéré et doté d’une autorité de fonction. Si le corps sacerdotal entendu dans le sens d’Eglise n’existe pas en tant que tel dans la réalité qui est la nôtre, en revanche, l’organisation officielle du culte regroupe effectivement les caractéristiques d’un type de hiérarchisation, de la rémunération et de l’autorité de fonction qui nous permet donc de parler de bureaucratie religieuse officielle. Cf. BOURDIEU, Pierre.- Une interprétation de la théorie de la religion selon Max WEBER.- In Archives européenne de sociologie.- Vol. 12, 1971.- p.p. 3-21.

[10]- Dans la presse, il a fallu attendre 1989, pour que quelques articles évoquent autrement que de façon péjorative (pour le moins) explicitement la confrérie. Voir notamment: La création de la Ligue Rahmaniya . El Moudjahid du 17 août 1989, et Si Salah. Regard sur la Rahmaniya. El Moudjahid du 24 avril 1989. Tout récemment le même quotidien consacre dans son supplément week-end, un article à l’une des plus zawiyas du Sud-est algérien, Tolga, sous le titre Zaouias d’Algérie. Le défi du renouveau»,qui sont présentées ainsi«Catalyseurs des forces populaires contre l’invasion coloniale, les zaouias assument, tant bien que mal leur rôle social». El Moudjahid du 30 mars 2000. Le rôle militaire des confréries entre 1830 et 1871-80, est à peu prés, le seul aspect sur lequel on insiste.

[11]- Voir ANDEZIAN, Sossie.- La confrérie des ‘Assâwa : de la transe rituelle en Algérie .- In De l’émotion en religion : renouveaux et traditions. (Sous la directin de F . CHAMPION et D. HERVIEU-LEGER).- Paris, CNRS, 1987.- p.p.505-532 Q/ SALHI, Mohamed Brahim.- Lignages religieux , confréries et société en Grande-Kabylie.- In IBLA, n°175, 1995.- p.p.15-30.

[12]- Voir HADJ-ALI,  Smaïl.- Algérie : Le premier séminaire national des zawiyas.- In Maghreb- Machrek, Monde Arabe, n°135, janvier-mars 1992.- p.p.53-62.

[13]- Certaines zawiyas sont devenues des établissements dont la formation est agrée par le Ministère des Affaires religieuses et se conforme donc aux critères fixés dans les années 1970 pour l’enseignement originel. D’autres beaucoup plus nombreuses restent autonomes mais souvent très peu actives.

[14]- Il faut, en effet, souligner que sur le plan de l’action éducative les réformistes algériens ont fait preuve d’une incontestable modernité et d’une réelle ouverture sur l’universalité. La phrase percutante de Bachir EL-IBRAHIMI «tout le modernisme et toute la culture de notre époque au moyen de la langue arabe» est tout à fait significative en ce sens. Voir AGERON, Charles-Robert.- Histoire de l’Algérie contemporaine, 1871-1954.- Paris, PUF, 1979.- p.328. Mais le rigorisme avec lequel le réformisme aborde les réalités religieuses algériennes et notamment la volonté de «purification» des conduites religieuses et le rejet de toute l’histoire religieuse locale antérieure à son avènement témoigne au contraire d’une fermeture sur les diversités empiriques notamment les pratiques de la religion telles que vécues par les algériens, c’est-à-dire, telle qu’ils se sont appropriés la nouvelle révélation des siècles auparavant.

[15]- Sur ces notions de rationalisation et moralisation voir WEBER, M.- Economie et Société.- Paris, Plon, 1971, qui estime que rationalisation et moralisation sont liées aux changement de la condition sociale et économique des croyants. La rupture avec les réalités «plastiques et vitales des puissances naturelles» caractéristiques de la paysannerie et les conduites reposant sur le calcul économique permettant de «prévoir et de comprendre la relation entre but et réussite ou échec». Cf. p. 893 et sv.

[16]- BOURDIEU, Pierre.- Op. cité.

[17]- Cf. SALHI, M. B..- Op. cité.

[18]- En fait, il faut se poser la question de savoir comment des éléments marquant sur le plan de l’histoire sociale et religieuse peuvent rebondir et non pas poser comme postulat que l’histoire d’un groupe ou d’une société se déroule de façon linéaire et que par exemple, les acteurs d’hier ne font que changer d’habit. Inversement, leurs catégories ne s’égarent pas au détour d’une époque et peuvent être des matrices qui prédisposent une autre génération d’acteurs à recevoir plus facilement de nouvelles idées, surtout si celles-ci, par leurs intonations si ce n’est par leur signification profonde, réactualisent le jeu et le discours de ces anciens acteurs. Qu’elle serait par exemple, la différence entre la perception que véhicule l’islahiste au sujet de la sainteté locale et celle de l’islamiste, si ce n’est que ce dernier (en certains cas), n’a pas hésité à en détruire l’établissement que le saint a fondé et que le premier a qualifié les pratiques liées à la sainteté d’hérétiques ? Il n’y aurait pas de continuité dans la mesure où rien n’indique que les islahistes se seraient mus en islamistes, mais leurs catégories constituent dans le champ religieux un antécédent qui rebondit.

[19]- GEERTZ, C.- Op. cité.- p.15. L’auteur ajoute pour souligner la complexité des changements religieux cette sorte de maxime : «C’est un domaine où le vin vieux peut aussi facilement emplir de nouvelles bouteilles, que d’anciennes bouteilles acceuillir un vin nouveau».- p.9.

[20]- Dans une situation où les images les plus sombres s’entrechoquent, nous mesurons parfaitement les risques liés à une esquisse d’approche des mouvements religieux qui s’attacherait à la comparaison. Mais à vouloir à tout prix, sur le plan religieux stricto-sensu, «ménager» la réformation religieuse des années 1930/40, on reconduit nécessairement le caractère génération spontanée de la nouvelle entreprise qu’est l’islamisme qui a bénéficié de tous les effets historiquement «cumulés» des retournements et des brisures dans le champ religieux.

[21]- La Dechra désigne le village algérien situé au nord de la ville moderne (ancien village colonial). Il est aussi couramment appelé la Haute-Ville. Nous utiliserons l’une ou l’autre de ces dénominations dans cet article.

[22]- Voir nos propos à ce sujet in Insaniyat n°8 : Mouvements sociaux, Mouvements associatifs.- Oran, CRASC, mai-août, 1999 (Vol. III, 2).- p.p.21-42 ; voir aussi : La socio-anthropologie ou comment repenser la méthode ?.- CRASC, Edition 1999 (Actes des journées d'études organisées en collaboration avec l'Université Mentouri de Constantine, 20 et 21 Mai 1997).- p.p.27-34.

[23]- Enquête sur les écoles et médersas en 1950. Archives-Aix–En-Provence. 16h 82.

[24]- Plan d’action communal de la commune mixte du Djurdjura. Archives d’Aix En Provence, série y.

[25]- A partir de croisements entre une documentation d’archives et une enquête de terrain.

[26]- C’est le cas de celle qui se tenait sur les hauteurs de Tiz-Ouzou à Sidi-Beloua qui fut d’abord suspecté en 1978 de servir de lieu de «débauche » et qui subit plusieurs descentes de gendarmerie avant d’être interdite de nuit en début de l'année 1979 pour disparaître en 1980/81. On ne sait pas qui sont les lobbies qui ont incité cette interdiction. Mais on sait aujourd’hui que les villages mitoyens ont fournis quelques islamistes radicaux.

[27]- L’un des maîtres réformistes de la Chabiba de Tizi-Ouzou, Rabah Bounar, y a exercé un très long magister entre 1944/1950.

[28]- Chiffres de la direction des affaires religieuses de la Wilaya de Tizi-Ouzou. Il convient de les prendre sous toute réserve dans la mesure où il ne semble pas que les mosquées de village soient toutes recensées ni tous les lieux de pèlerinage religieux actifs. 

[29]- Cas des Zawiyas de Sidi-Mancour, Sidi-Ali-Moussa et la zawiya Ben Abderahamane à Bounouh (Boghni).

[30]- Qui ressemblerait à une sorte de déchaînement des saints imbibés dans bien des cas de scripturalité et fortement reliés au pôle central à savoir l’Islam.

[31]- En août 1988, nous avons traversé une ville de Dellys absorbée un vendredi par le rituel de prise en charge de l’avant prière avec des plages vides (ou vidées).

[32]- Sur ces mêmes lieux les réformistes avaient installé leur médersa.

[33]- Mosquée du «milieu» parcqu ’elle est située entre le centre-ville et la Dechra.

[34]- Voir notre article : «Modernisation et retraditionalisation à travers les champs politique et associatif: le cas de la Kabylie».- In Insaniyat n°8, mai-août 1999.- p.p. 21-42.

[35]- Chiffres officiels rapportés par DAHMANI, Mohamed.- Tizi-Ouzou. Fondation, croissance, développement.- T-O, Ed. Auraasi, 1993.- p.p.67-74.

[36]- En 1991 le RCD améliore son score puisqu’il passe à 5843 voix dans la ville de Tizi-Ouzou et 2519 voix en zone rurale. Le FFS compte 11092 en ville et 6079 en périphérie. In DAHMANI, M..- Op. Cité.- p.p.75-78.

[37]- Calcul effectué à partir des chiffres officiels cité in DAHMANI, M..- Op. Cité.- p.p.67-74.

[38]- Voici ce que rapporte Abdelhafid Amokrane El Hasani au sujet à ce sujet:«En évoquant les positions et caractère du chef de la wilaya III,le Colonel Si Naçar,de son vrai nom Mohamedi Saïd, les djounouds de cette Wilaya connaissaient bien son caractère et son attachement aux préceptes de la religion. Par exemple certains qui désiraient bénéficier d’un congé après les décisions du congrès de la Soummam, il leur suffisait de faire la prière devant Si Naçar pour bénéficier de trois jours de congé, sans compter les délais de route et recevoir une somme d’argent de bon cœur de la part de ce dernier.».-In Mémoires de combat.- Alger, Dar El Ouma,1998.- p.48.

[39] Voir les polémiques sur la nature de la guerre de libération que les islamistes tendent à présenter comme un Djihad stricto sensu.

[40]- Il est évident qu’on ne sait pas avec certitude si cette personnalité a rejoint la région des At Wacif en 1992. Les informations diffusées à l’époque ont fortement crédité cette éventualité.

[41]- Selon Le projet rénovation de la haute ville de Tizi-Ouzou. URTO, 1989.

[42]- Selon les données de l’étude CNERU sur le POS de la haute ville de Tizi-Ouzou.- Alger, 1996.

[43]- Etude sur la rénovation…- Op. cité.

[44]- Etude de rénovation…- Op. Cité.

[45]- SALHI, Mohamed Brahim.- Modernisation et retraditionalisation à travers les champs politiques et associatif: le cas de la Kabylie.- In Insaniyat, Revue algérienne d’anthropologie et de sciences sociales, n°8, 1999.- p.p.21-42.

[46]- Ibid.

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