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In memoriam : Jean-Jacques DELUZ : 1930-2009 ″L’homme qui marche″

Insaniyat N°44-45 | 2009  | Alger : une métropole en devenir | p. 07-09 | Texte intégral


L’hommage à Jean-Jacques Deluz dans ce numéro sur Alger s’est imposé à nous comme d’une évidente nécessité pour rappeler l’attachement qu’il avait à l’égard de l’Algérie et de cette ville en particulier. C’est en effet à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts d’Alger qu’il nous initiait à l’architecture et qu’il nous apprit à découvrir et à comprendre cette ville en commençant par la Casbah. Nous la parcourions rue par rue pour relever, dessiner et analyser la particularité de ses maisons. Au Palais du Dey, l’exercice incitait la connaissance à s’intéresser jusqu’au profil du châssis de fenêtre en bois, un détail au contour si raffiné que seul le meilleur bois utilisé pouvait expliquer sa conservation jusqu’alors. Un travail sur un passé encore présent mais fragilisé et menacé par la ruine malgré la constance de sa structure et de sa culture spatiale. Il s’agissait de saisir le génie du lieu et de se re-familiariser avec un vocabulaire architectural révolu. Nommer et définir chaque espace selon ses multiples fonctions nous amenait à concevoir par exemple que le patio n’est pas qu’une cour ou qu’un simple puits de lumière. Un travail stimulant, tant était motivée cette bande d’étudiants qui allaient renflouer les premières promotions d’architectes algériens des années 70. Les orientations pédagogiques de J.J. Deluz étaient brèves car plus actives que directives tablant sur le questionnement et la créativité. Ses méthodes investissaient dans l’esprit de la découverte d’une architecture et de son contexte sur lesquels il reviendra plus tard pour ironiser sur quelques stéréotypes, voire des exagérations qui caractérisent nombre de descriptions de la période coloniale. De la Casbah, il notera l’exemplarité de son organisation urbaine et architecturale telle que rapportée et appréciée par Le Corbusier en 1933 : «…la Casbah d’Alger… est une entité architecturale et urbanistique admirable. C’est la ville la plus standardisée et la plus fonctionnelle que l’on puisse rêver ; c’est aussi la ville la plus poétique pour qui sait y regarder ». Les travaux et les ouvrages qu’il leur a consacrés attestent de ce lien plutôt discret, mais d’une résistance avérée à l’épreuve des déconvenues qu’il a eues à affronter en tant qu’architecte. En plus de celles qui nous sont rapportées par les nombreux hommages qui lui ont été rendus, ce n’est pas sans surprise et plaisir que j’ai eu à assister à la présentation d’un de ses projets à Oran en 2001 dans le cadre d’un concours international sur La Calère[1]. L’histoire du lieu avec ses contraintes et ses potentialités, plaidait pour une démarche respectueuse des valeurs intrinsèques tout en optant pour un programme diversifié et résolument de son temps. Passage trop rapide certes, mais l’intensité de sa trace continuera à marquer l’esprit des Oranais qui garderont en mémoire la stature de cet homme affecté par la maladie, mais debout et droit.

L’image de « L’Homme qui marche » de Alberto Giacometti, son compatriote suisse, m’est soudain apparue comme une conjonction symbolique hautement  significative. Ce personnage fragile à la démarche assurée résume mes sentiments de reconnaissance et appuie en d’autres termes, ce qui a déjà été si justement évoqué pour dire sa modestie, son honnêteté, son humanisme, sa sagesse et son combat pour un monde meilleur. Il fut Quelqu’un, aurait suggéré un confrère comme pour nous renvoyer au Quelqu’un de Pablo Neruda à moins que ce ne soit celui de Jacques Prévert : cet homme qui sort de chez lui (c’est) très tôt le matin… Et (qui) poursuit fièrement son petit bonhomme de chemin, après avoir jeté le Bottin et constaté que personne ne portait le même nom que lui.  

Il ne cessera en outre, d’attirer l’attention sur la spécificité de la carrière de l’architecte-enseignant tant il était peiné par les classifications globalisantes forçant l’architecture à s’uniformiser conformément aux canons académiques des sciences exactes. Selon ses propres termes, Jean-Jacques Deluz : se considère comme un sceptique, non dogmatique qui pense que le monde est en décomposition et que les architectes et la plupart des artistes, sont devenus les valets de l’économie de croissance. Les thèses d’Ivan Illich en général, de Ravéreau sur l’architecture, [lui] paraissent les plus valables […]. C’est en effet, en connaissance de cause pour avoir exercé les deux métiers en parallèle, celui de l’architecte et celui de l’enseignant, qu’il ne cessera de préciser sa pensée quant à leur enrichissement mutuel au même titre que toute autre discipline dont l’enseignement renvoie à la pratique professionnelle.

Ma fierté est d’avoir repris contact lui demandant de faire une lecture critique de mon texte intitulé « Pour une architecture algérienne », soumis au débat du symposium portant sur l’état des savoirs en Algérie[2]. Ma sollicitation se justifiait par le fait que je lui consacrai un paragraphe à côté de Abderrahmane Bouchama, Fernand Pouillon et André Ravereau. Ayant été son étudiante en première année, ce rapprochement trente-cinq ans après, a été pour lui un bonheur simple que j’ai ressenti et partagé. Il a en effet été mon enseignant, tout comme André Ravereau et Mohand Aoudjhane, deux autres Quelqu’un dont nous n’avons pas encore vraiment mesuré l’intégrale valeur.

Il revient à notre génération d’entreprendre des actions et de prendre les initiatives à notre portée pour transmettre le flambeau. Les œuvres écrites et architecturales que J.J. Deluz nous a léguées offrent une liste innombrable de points de réflexion à poursuivre sur les spécificités de notre discipline en rapport avec notre histoire, nos modes de vie et nos pratiques sociales en évolution. Quant à son œuvre picturale, elle est restée discrète, comme il l’avoue dans le seul texte où il parle de lui : « …ma peinture est confidentielle, seuls quelques amis la connaissent »[3]. Encore un signe de modestie qui nous a caché bien d’autres talents dont on peut imaginer les penchants à travers cette phrase gravée dans un registre de vernissage d’un de ses anciens étudiants et désormais confrère : « Heureusement, les architectes, peuvent encore rêver – et savent le faire bien, Deluz »[4].

Œuvre écrite de Jean-Jacques Deluz

L’urbanisme et l’architecture d’Alger, Bruxelles/Alger, Mardaga / OPU, 1988.

Alger, chronique urbaine, Paris, Bouchène, 2001.

Les voies de l’imagination, Paris, Bouchène, 2003.

Fantasmes et réalités (réflexions sur l’architecture), Alger, Barzakh, 2008.

Le tout et le fragment (textes 1956- 2007), à paraître, 2009.

Parmi son œuvre architecturale

L’extension de l’Ecole Polytechnique d’Architecture et d’Urbanisme.

La ville nouvelle de Sidi Abdallah.

L’aménagement de La Calère à Oran, projet présenté en 2001 à Oran.

L’école d’art dramatique de Bordj el Bahri.

Son œuvre picturale et artistique n’a jamais été exposée. Elle reste à découvrir.

Ammara Bekkouche

 


Notes

[1] Concours resté sans suite, un désagrément de plus pour J.J. Deluz qui avait tellement investi dans ce projet important et complexe. La Calère est un site localisé au centre historique d’Oran, toujours en attente d’une prise en charge depuis sa démolition en 1980.

[2] Pour une architecture algérienne, in Actes du Symposium, L’Algérie 50 ans après. Etat des savoirs en Sciences Sociales et Humaines 1954- 2004, Benghabrit-Remaoun, Nouria et Haddab, Mustapha (dir.), Oran, CRASC, 2008, pp. 503-513. 

[3] Texte rapporté par Mohamed Larbi Merhoum, in El Watan, jeudi 7 mai 2009, p.19.

[4] Exposition de Sid-Ahmed Zerhouni,  Avril 1984, Alger.

 

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