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ALGER. Lumières sur la ville. Actes du colloque international tenu à Alger le 4, 5 et 6 Mai 2001. Editions Dalimen, 395 pages, Alger, 2004

Il semble difficile de rendre compte de la richesse du contenu de cet ouvrage de 400 pages, en raison du foisonnement d’idées, de témoignages de chercheurs érudits, de références culturelles, de descriptions relatives à l’histoire urbaine d’Alger, d’expressions émotionnelles, voire de critiques émises à cause d’incompréhensions ou de déceptions…

Initialement publié en deux volumes par l’Ecole polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’El Harrach, lieu de la tenue, en mai 2001 du colloque international d’Alger ‘Alger. Lumières sur la ville’, ce livre est par conséquent une version élaguée préparée par le comité éditorial. Dans la préface, ce dernier, composé de Chabbi-Chemrouk N., Djelal-Assari N., Safar Zitoun M. et Sidi Boumedine R., souligne que « pendant trois jours, Alger est devenue ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un pôle de réflexions et d’échanges fructueux entre universitaires venus de disciplines diverses mais cependant complémentaires travaillant sur la ville » (p. 7). En effet, 46 communications d’auteurs venus d’horizons multidisciplinaires des sciences sociales et humaines (histoire, sociologie, urbanisme, architecture, géographie, droit...) ont tenté de rendre compte de la réalité urbaine algéroise au cours de l’histoire. En réalité, le produit écrit livré cache mal le débat fructueux centré sur la perception plurielle de la ville d’Alger, agglomération vivante analysée à différentes échelles géographiques ; les problématiques posées, les études élaborées et la compréhension des divers mécanismes de la production du splendide bâti réalisé au cours de l’histoire mouvementée de la Capitale attestent d’un besoin nécessaire, de plus en plus ciblé, d’assurer une continuité multidisciplinaire des travaux de recherche par les institutions universitaires. C’est dans ce contexte que l’éminent praticien, l’architecte Jean-Jacques Deluz qui s’est investi pendant plus d’un demi-siècle dans la fabrication de la métropole algérienne a rendu compte, en séance plénière, de son expérience de l’aménagement d’Alger, ville perçue « comme connaissance et comme projet : comment produire du parcellaire, du fragment de connaissance ou de ville sans perdre de vue l’essentiel, c’est-à-dire la vision d’ensemble seule capable de donner un sens aux parties, de les lier entre elles » (p.7-8).

La structuration de l’ouvrage est calquée sur les quatre ateliers constitués lors du Colloque ; ‘Villes originelles’ : sur les 11 communications retenues, retenons les textes de O. Hachi, A. Goudail, M. Touili… ; ‘La ville coloniale’ : sur les 13 articles édités, signalons les textes de A. Gerber, J.L. Planche, J.J. Lahuerta… ; ‘Le présent en devenir’ regroupe 13 exposés parmi lesquelles ceux de J.J. Deluz, R. Sidi Boumedine, A. Prenant… ; ‘Espaces publics, symbolismes et représentations’ clôt l’ouvrage par 9  textes dont ceux de D. Lesbet, J.P. Frey, F. Soufi…

En premier lieu, la partie ouvrant l’ouvrage apparaît capitale par son contenu car elle met en lumière de multiples sources relatives au passé d’Alger à travers d’une part, un travail dense d’accumulation, de présentation et d’interprétation d’archives nationales et étrangères par les chercheurs, et d’autre part, par la visibilité donnée à la large recherche diplômante stockée dans les bibliothèques universitaires. Naturellement, l’apport remarqué est là, à travers le produit présenté par des archivistes et des historiens qui ont ouvert en fin de compte des horizons de recherche à investir pour les jeunes historiens. La deuxième partie porte sur des approches comparatives entre Alger et les villes de Marseille, Tunis, Le Cap, Istanbul… bien utiles et ce, à travers les thèmes de l’urbanisme colonial et postcolonial (évolution, caractéristiques socio-ethniques spatiales…),  de la politique urbaine (projets conçus par de grandes personnalités de l’architecture, urbanisme opérationnel, gestion urbaine…). Quant à la troisième partie de l’ouvrage, elle mêle approche théorique et analyse de l’espace urbain algérois, de ses différenciations sociales et environnementales… au sein des structures urbaines de l’agglomération algéroise ; en outre, y sont clarifiées les actions urbanistiques comparatives et les relations commerciales entre Alger et les grandes métropoles du Bassin méditerranéen comme Istanbul, Tunis, Marseille… Plus orientée vers les démarches culturelles, politiques et anthropologiques, la dernière partie du livre dresse un état des lieux de la ville depuis 1962 et la réappropriation immobilière d’Alger par la population et par l’Etat ; l’approche symbolique de la ville apporte un éclairage significatif que l’on a tendance à sous-estimer dans la vie de la société urbaine.

Dans un article de qualité,  Alex Gerber synthétise les différents projets d’urbanisme caractérisés par la macro-architecture élaborés au cours du 20ème siècle par Le Corbusier et ses ‘continuateurs’ spirituels (Gérald Hanning, Oscar Niemeyer) dont les apports sont encore perceptibles sur le paysage et mémorisés par divers acteurs de la ville. Concis par ses idées, cet article est illustré par une collection de croquis, cartes, plans, photos, levés architecturaux et schémas reflétant de fait, l’intérêt et la qualité d’une conception urbanistique encore d’actualité, restitués par un acteur témoin de cette période. Néanmoins, sur un  registre proche, le texte le plus marquant, celui de Jean-Jacques Deluz, apparaît comme une sorte de leçon académique mêlant réflexion, méthode et action d’un praticien hors pair et ce, à la fois sur la ville, l’urbanisme et l’architecture. L’auteur (lire l’hommage rendu par la revue) offre d’une façon compétente et pédagogique les résultats de son expérience algéroise et met le doigt sur les relations contradictoires entre les multiples acteurs de l’aménagement et nous signale que « le problème crucial qui se pose va être celui de sa relation -en parlant de l’acteur- (souhaitée ou ignorée) avec le cadre théorique élaboré par les chercheurs. Or, entre les uns et les autres, selon mon expérience, il y a un hiatus et ce hiatus est loin d’être dépassé » (p. 189). Plus loin, J.J. Deluz relève clairement l’absence de liens entre la recherche universitaire -elle-même cloisonnée-, les décideurs et les exécutants.

Pour mieux expliciter son propos, l’auteur fonde sa démonstration sur la présentation de quelques exemples pris à Alger même ; il nous met en garde contre l’illusion donnée par une équipe pluridisciplinaire (conflits et prérogatives) au cas où toutes les structures impliquées ne le sont pas et affirme fortement que « l’impossibilité de maîtriser les problèmes à un niveau de synthèse intégrant les sciences humaines dans leur ensemble, conduit les décideurs à considérer ces problèmes sous leur seul aspect technique : l’urbanisme comme un complexe de règlements et de normes » (p. 190). Bien plus, soumis à la pression politique, les décideurs n’ont pas derrière eux des structures pluridisciplinaires agissant comme une aide à la décision. Après bien des expériences successives engagées par l’Algérie (grands ensembles, retour aux sources villageoises, appel à de grands noms de l’architecture mondiale, ouverture vers le libéralisme…), Deluz soutient que les architectes devraient se méfier des « théories d’architectes, donc de spécialistes, qui, restent fragmentaires au regard de la réalité, débouchent sur une illusion de résultat »           (p. 191) ; ceci est aussi valable pour la formation de l’étudiant car la réalité est complexe et l’échec est là au cas où il y a non maîtrise. En définitive, de cette leçon d’urbanisme à la fois foisonnante et riche, il faudrait demander tant au chercheur qu’à l’étudiant et au décideur de lire, relire et de méditer les idées de cet article parsemé d’exemples pris dans l’espace urbain et périurbain d’Alger ; Deluz insiste largement sur les rapports entre l’architecture et les sciences humaines et sur l’apport de celles-ci aux acteurs de la décision car il n’y a pas de solution miracle en matière d’aménagement dans la mesure où il faut miser sur la qualité et aussi, en tenant compte de la réalité de la société. Pour terminer, il faut souligner que ce colloque sur Alger apparaît comme un jalon notable qui fera date dans les études urbaines portant sur la Capitale et au-delà de ce fait, il s’agit de noter l’attrait de chercheurs provenant de différents horizons territoriaux, venus renouveler leur attachement émotionnel à Alger, ville qu’il fallait, en ce début de siècle, sortir de sa torpeur après la décennie de violence des années 1990, manière de la réinstaller symboliquement, comme une métropole reconnue de la Méditerranée.

Abed BENDJELID

 

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