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 N°22 | 2003  | Pratiques maghrébines de la ville | p. 3-6 | Texte intégral


Après des livraisons consacrées à la ville[1] , le thème sur les pratiques maghrébines de la ville s’est imposé pratiquement au Comité de rédaction en raison de la profusion de travaux en sciences sociales reçus, portant sur ce champ. C’est dire que la ville est actuellement une question qui agite les milieux de la recherche en raison de l’importance qu’elle a prise et des redoutables problèmes qui se posent aux sociétés maghrébines : gestion urbaine, bâti en déshérence, ampleur de l’habitat illicite, finances locales, dégradation de l’environnement, implantation d’équipements, accès au logement, création d’emploi, expansion de l’activité informelle, maîtrise foncière, concertation sociale…. En outre, c’est la première fois que des travaux concernant l’ensemble des pays du Maghreb, à l’exception de la Libye, ont été regroupés ; l’insertion de l’exemple de la capitale de la Jordanie apparaît, ici, comme un pendant comparatif moyen-oriental bien utile.

Dans toutes les villes étudiées, le point de départ se situe dans le formidable étalement urbain caractérisé naturellement par une augmentation démographique, une diversification des activités et une modulation de leurs influences territoriales. Cette extension géographique du bâti est le résultat logique de la vie de la ville qui s’étend en raison de motifs multiples : reconstruction après un séisme (Agadir), étalement plus ou moins spontané motivé par la sécheresse (Nouakchott), extension programmée par un instrument d’urbanisme (Tunis)… Partout, dans les pays du Maghreb, la ville produite est souvent dépassée par la réalité quotidienne en raison des besoins réels de la population (logements, équipements sociaux, réseaux divers, emploi…) et ce, en dépit de la programmation prévue par les plans d’urbanisme et les moyens financiers dégagés par les pouvoirs publics.

A partir du noyau urbain, s’effectue une extension plus ou moins désordonnée, plus ou moins spontanée, plus ou moins maîtrisée de l’espace bâti ; l’occupation de terrains fonciers par des familles venant s’abriter dans la ville est faite souvent dans l’urgence et sans les normes requises par la loi comme à Nouakchott ou à Amman-Est. Là est posée la redoutable question de l’application de la réglementation. En effet, en voulant faire appliquer les normes d’un urbanisme moderne, l’Etat n’arrive pas à les imposer à des populations pour qui le foncier par exemple est senti comme une donnée secondaire : c’est le cas de Nouakchott où la population nomade se sédentarise par le jeu de l’agglutination sur des terrains censés lui appartenir. L’intériorisation par les nomades de l’idée de l’usage collectif de la terre est une réalité au sein de tous les territoires steppiques et sahariens parcourus par ces populations. En ce sens, la pratique sociale de l’occupation foncière aux marges de la ville ne semble pas être - pour eux - en contradiction avec leurs coutumes et mentalités ; ce qui les met en conflit avec l’Etat et ses structures modernes chargées de la gestion de la ville… en raison de la non application des normes. Si l’allocation réglementaire du sol ne pose aucun problème juridique ; en revanche, le conflit prend forme lorsque le squatter occupe un terrain et pose de fait, aux autorités la question de la régularisation ou celle de l’expulsion, plus loin, des occupants de l’habitat illicite.

L’occupation foncière illicite par des nomades, des ruraux ou des réfugiés poussés par la sécheresse, la misère ou les guerres implique logiquement des pratiques immobilières qui modèlent un cadre bâti de qualité architecturale médiocre et qui ne peut être amélioré et consolidé par l’habitant que dans un climat de sécurité, c’est-à-dire par le jeu de la régularisation foncière. Ces quartiers illicites fragmentés contribuent malgré tout à la fabrication de la ville actuelle, en extension continue, jusqu’à former une aire métropolitaine qui peut donner un caractère de primatialité affirmé à la capitale comme c’est le cas d’ Amman, voire de Nouakchott. L’irrégularité du bâti caractérisée par un plan de structure désordonné, une viabilisation pratiquement inexistante et un sous-équipement flagrant est à l’origine de conflits entre les habitants et les autorités locales qui ne perçoivent ‘le quartier’ que sous la forme juridique alors que la ville progresse quotidiennement à travers ses constructions résidentielles, ses commerces, ses zones d’activités…

Globalement, la ville maghrébine est faite de ces différenciations, pour ne pas dire de ces oppositions entre les quartiers riches et les quartiers pauvres, entre les quartiers légaux et les quartiers illicites, entre les centres-villes et les zones périphériques, entre les quartiers de la périphérie et les espaces suburbains. Ceci se retrouve à travers les diverses villes étudiées dans ce numéro : Agadir, Tunis, Batna, Nouakchott, Amman… Ces différenciations physiques et localement sociales de la ville au Maghreb donnent lieu à des pratiques sociales classiques au sein de l’aire urbaine. En général, le centre-ville est le lieu d’urbanité, voire de citadinité, en raison de la sédimentation des apprentissages sociaux accumulés par les habitants du noyau urbain au cours de l’histoire (Amman, Tunis) ; leurs pratiques semblent s’opposer à celles des nouveaux venus des campagnes qui se regroupent à cause de leurs affinités familiales, tribales ou par nationalité (Nouakchott, Amman), mais avec un fort sentiment d’entraide et de solidarité connu au sein des populations touchées par la pauvreté et la précarité. Par ailleurs, cette dernière situation est pratiquement comparable dans les quartiers ‘d’habitat individuel’ récents, comme à Batna, où le lien social préserve en partie les populations de la précarité économique.

En revanche, les pratiques sociales au sein du nouvel habitat collectif de type ‘zone d’habitat urbain nouvelle’ apparaissent bien molles en raison du mode d’accession administratif au logement, du ‘mélange social’ des bénéficiaires et de l’anonymat permis par la ville. En ce sens, la dégradation du bâti est là une donnée sociale liée à l’explication anthropologique de ce comportement car la population algérienne a un regard singulier sur les espaces publics ou semi-publics perçus encore comme un bien beylik.

L’autre pratique sociale courante dans les villes maghrébines concerne les migrations quotidiennes des actifs, résidents dans les quartiers touchés par la précarité et la pauvreté, qui se déplacent pour travailler en direction des zones centrales, administratives ou commerciales, même si l’activité informelle demeure encore présente en tant qu’activité complémentaire ou de survie. Au cœur de l’activité urbaine, la centralité peut être relayée par des quartiers caractérisés par des centralités secondaires implantées à la périphérie qui captent une partie de la mobilité humaine se dirigeant habituellement en direction du centre-ville comme c’est le cas à Tunis. Dans d’autres métropoles du Monde arabe, l’existence de ruptures spatiales et économiques entre les divers groupes sociaux pose l’inquiétante question de la ségrégation économique, sociale et culturelle ; le cas observé à Amman devrait interpeller le pouvoir politique central. Au Maghreb, cette question doit être prise au sérieux même si les villes maghrébines apparaissent, aujourd’hui, moins touchées par cette forme de ségrégation. Bien plus, les disparités culturelles donnent lieu à des pratiques sociales opposées au sein du même espace métropolitain ammanien : mode de vie occidental à l’Ouest de la capitale, mode de vie islamique à l’Est. La nature de cette opposition culturelle peut être porteuse de conflits politiques qu’un simple découpage administratif de la capitale ne peut résoudre.

En Algérie, la ville a la particularité d’accorder un accès restreint aux femmes au sein de l’espace public, même si celles-ci tentent laborieusement d’accéder à quelques espaces publics, particulièrement dans les centres-villes, et ce, en dépit des interdits coutumiers et de ‘constantes culturelles’ imposés par les hommes. Néanmoins, l’accès des femmes aux espaces publics est à nuancer selon les villes.

Dans la plupart des articles présentés, l’unité de la ville maghrébine -ou de l’aire métropolitaine- est clairement posée aux acteurs publics centraux et locaux en premier lieu et aux acteurs privés en second lieu. En effet, vivre la ville ensemble, aujourd’hui, nécessite une atténuation des disparités sociales et économiques ; en ce sens, la responsabilité de l’Etat doit être à la fois pleinement engagée dans la reconstruction d’une économie et d’une société fragilisées par la mondialisation, et s’ouvrir plus à la demande sociale exprimée par la population et ce, par le jeu de la concertation.

Abed Bendjelid


Note

[1] - ‘Espace habité : vécus domestiques et formes d’urbanité’ en 1997, ‘Villes algériennes’ en 1998, ‘Recherches urbaines’ en 2001.
 

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