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In Memoriam : Hamid AÏT-AMARA (1935-2009) Fragments Sur La Vie Et L’activité

N°47-48 | 2010  | Communautés, Identités et Histoire | p. 13-17 | Texte intégral


Notre collègue Hamid Aït-Amara connu pour son enseignement et sa production en sciences sociales vient de décéder le 11 novembre 2009, suite à une longue maladie. Nous lui rendons hommage ici en revenant sur sa biographie et son œuvre. Il appartenait à une famille originaire du village d’Akabiou, village dominant la vallée de la Soummam et rattaché aujourd’hui à la commune de Timezrit-Il-Matten située à 40km de la ville de Béjaïa, lieu de ses racines maternelles. Il est né en 1935 à Morhange (France),  un « «bourg-caserne » de la région lorrraine, qui fut un des  lieux d’affectation d’un père militaire de profession.

Sétif, capitale des Hautes plaines de l’Est algérien, restera pour lui la ville de son enfance, mais aussi de ses années de résistance. C’est là en effet, qu’il poursuivit ses études primaires et c’est là aussi qu’il fut marqué à jamais par les évènements du 8 mai 1945 ; la répression sanglante, qui s’abattit sur la population civile algérienne, et dont il fut le témoin direct éveillera très tôt chez lui des sentiments de révolte contre l’injustice et la violence du système colonial. Ces événements qui annonçaient l’insurrection nationale du 1er  Novembre 1954 contribueront  sans doute à forger chez lui une conscience politique et un patriotisme juste et sans haine, car aussitôt achevées ses études secondaires au prytanée  militaire de la Flèche (France) - école préparatoire pour les Écoles de Saint-Cyr et de Saint-Maixent -, il retourne à Sétif où il affirme ses engagements dans le Mouvement national. En 1957, il est arrêté et interné plusieurs mois dans le camp de «Ksar Ettir » – camp où furent tournées plus tard les scènes du beau film de Lakhdar Hamina, « Le vent des Aurès » - puis interdit de séjour et expulsé d’Algérie en 1958. Il rejoint alors les réseaux d’étudiants et de patriotes algériens organisés dans les fédérations FLN de  France et  d’Allemagne. Les contacts humains, les échanges  et débats intellectuels sur la question algérienne ainsi que les mouvements de solidarité qui s’expriment pour la cause algérienne le rapprochent des courants politiques progressistes français. Il côtoie ainsi les milieux qui soutiennent la Révolution algérienne et en particulier les militants communistes français.

Hamid Aït-Amara ne sera autorisé à rejoindre sa famille à Alger qu’après l’indépendance algérienne. Il fera partie des premiers cadres du ministère de l’Agriculture où il exerça, entre 1963 et 1965, des fonctions de conseiller à la direction de la réforme agraire, et ceci tout en poursuivant des études à la faculté de droit et des sciences économiques d’Alger. Titulaire d’une licence en droit, il ne s’installe pas comme avocat mais poursuit une carrière au ministère de l’Agriculture où il est nommé sous-directeur, chargé de l’Institut de la promotion de la coopération agricole (IPCA). Parallèlement, il s’inscrit à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes à Paris (VIe section) où il soutiendra une thèse de doctorat. Il rejoint alors l’Institut agronomique d’Alger où il dispense jusqu’en 1979 des enseignements dans le département d’économie rurale. Il sera affecté à l’Université d’Alger où il enseignera jusqu’à son départ forcé en France (Montpellier) en 1993. Il sera de retour à Alger en 1999 où il participera activement  à la vie intellectuelle et politique (au sein du Forum social ou du CCDR) du pays. La maladie l’éloignera de nouveau d’Alger jusqu’à son décès le 11 novembre 2009 des suites d’une grave maladie.

Une rétrospective de ses travaux et de ses thèses  sur les questions agricoles et alimentaires de l’Algérie – et au-delà sur les agricultures des pays du Sud de la Méditerranée- permet de repérer quelques jalons majeurs de son itinéraire intellectuel.

Dans les années 1960, il consacre l’essentiel de ses analyses à l’expérience algérienne de l’autogestion agricole, à la problématique des réformes agraires mises en œuvre dans les pays du Sud, et ceci dans le contexte de la décolonisation. Le mémoire de recherche (1966) qu’il présente à l’EPHE de Paris - « Décolonisation et autogestion » puis sa thèse (1971) portant sur les « conditions de la participation dans l’exploitation agricole d’autogestion en Algérie » sont les principaux travaux qu’il produit à cette époque. Ses travaux – et ceux de Thami Tidafi qui soutiendra lui aussi une thèse sur l’autogestion algérienne3 - constitueront une référence incontournable pour les chercheurs et universitaires nationaux et étrangers. Il convient de noter qu’il saura dès cette période adopter une posture d’intellectuel engagé. Il mobilisera, en effet, des méthodes de recherche qu’il saura transmettre à ses étudiants ; celle de recourir aux enquêtes (compréhensives) de terrain, de produire des données, d’interroger  et de « faire parler » les statistiques officielles, d’analyser les discours des acteurs sociaux et d’être à l’écoute des petits paysans. Il y aura aussi dans les travaux de Hamid Aït-Amara cette obsession de tirer les enseignements de l’histoire agricole des pays industrialisés,  les références nombreuses aux thèses du père fondateur de l’Economie politique - David Ricardo - les analyses comparées avec les pays du Maghreb et le suivi des marchés mondiaux des produits agricoles qui ont une si grande influence sur la sécurité alimentaire des pays dépendants.  Toujours au niveau des approches, toutes les études critiques portant sur les politiques agricoles et alimentaires seront en permanence confrontées au modèle de développement et/ou d’accumulation matérielle auquel il accordait une importance primordiale.  

Dans les années 1970 et 1980, ses  analyses portent sur la révolution agraire algérienne, la crise alimentaire mondiale et les liens entre les stratégies d’accumulation et le secteur agricole[1]. En effet, au-delà de la crise de ce secteur, Hamid Aït-Amara nous invite en permanence à nous interroger sur la validité des modèles de développement (ceux fondés sur l’exportation des produits agricoles, énergétiques ou miniers, d’import-substitution ou d'industrialisation auto-centrée). La crise alimentaire des années 1970 (qui fera l’objet d’un documentaire  « La faim du monde » réalisé par Théo Robichet, dont il écrira en partie le scénario), le conduira à souligner, d’une part, les limites d’une stratégie de développement fondée sur l’expansion du secteur des exportations et d’autre part, à mettre l’accent sur la nécessité d’une alternative industrielle qui absorberait le surplus de main d’œuvre agricole freinant aujourd’hui tout processus de modernisation des agricultures des pays du Tiers-monde[2]. En effet, pour Hamid Aït Amara « l’absence d’une alternative industrielle approfondit la crise agricole et la crise du développement », car elle a pour conséquence essentielle d’alourdir une charge démographique préjudiciable aux structures foncières[3].  Cette problématique de la modernisation de l’agriculture nourrira toute la réflexion contenue dans l’ouvrage « l’agriculture méditerranéenne dans les rapports Nord-Sud [4]». Comment  améliorer la productivité du travail agricole et les rendements des cultures et des élevages ?  Quelle politique publique promouvoir et  dans ce cadre, comment favoriser le progrès technique dans les agricultures des pays du Sud de la Méditerranée ? Quelle politique foncière appliquer pour améliorer l’accès aux ressources naturelles au profit des paysans ? Quel type d’insertion dans la division internationale du travail agricole et quelle compétition instaurer pour des régions inégalement dotées en capital et en terre et qui présentent des écarts importants de productivité ? Quelle politique des prix et des revenus agricoles mettre en œuvre dans les pays dépendants quant on sait que seule une politique protectionniste et un soutien des prix à un niveau élevé a permis à l’Europe communautaire d’atteindre les objectifs d’autosuffisance[5].

Dans les années 1990, il initie des rassemblements, organise des colloques, coordonne des travaux de recherche pour éclairer l’opinion sur les causes et les effets du tournant libéral de l’économie algérienne, analyse les évolutions des économies nationales des pays du Sud et leur dépendance alimentaire.

Travailleur infatigable, il organisera à Alger avec ses amis de l’Association algérienne de recherche en sciences sociales (AADRESS), dont il fut le président des séminaires (celui sur la Nation et sur la Mondialisation et ses effets sur l’Algérie) où il exposera ses visions économiques. Ses réflexions, développées et défendues dans des articles de revues (Revue Internationale et d’autres publiées à Paris), ou la presse nationale (El Watan en particulier) mettaient en avant la promotion de la société civile, celle ses élites et de leur rôle fondamental dans l’espace public et la préservation de l’Etat national passablement affaibli au cours de la décennie noire.

Esprit aux multiples facettes, s’il s’est intéressé aux paysans, aux intellectuels, à la défense d’un Etat national, il fut aussi un témoin actif et précieux dans le combat des femmes algériennes pour leur émancipation sociale et politique. De même, il était très attentif aux possibilités de l’image pour donner à des publics populaires les moyens de s’approprier des problèmes économiques et sociaux parfois complexes. Il participe avec T. Robichet à un court métrage sur "La faim du monde" ; il écrit avec son ami le cinéaste  Sid-Ali Mazif les scénarios  de "Leïla et les autres", qui est devenu un classique du cinéma algérien, "La cause des femmes" (qui évoque la lutte pour les libertés et les résistances des femmes opposées au Code de la famille), de la "Violence contre les femmes " , enfin de "Nana Taous" réalisé en 2008 qui retrace l’itinéraire d’une vieille centenaire et militante de la cause de libération nationale qui fréquenta l’école française au début du XXe siècle.

Les questions que posait Hamid étaient toujours une invitation à une réflexion lucide et à un rude effort intellectuel. Les analyses étaient aiguës, à la limite du pessimisme, parce qu’elles reflétaient souvent les circonstances historiques pas toujours heureuses que traversaient l’Algérie et les pays qui s’étaient engagés dans la voie de la décolonisation. Elles mettaient l’accent sur les écarts, les défaillances, les impostures idéologiques et les promesses non réalisées pour une génération qui avait fait de l’indépendance nationale, du progrès social, de la liberté et de la justice un horizon possible et nécessaire.

Notre regretté collègue qui a eu à intervenir lors des rencontres organisées par le CRASC, lequel a par ailleurs publié certains de ses écrits[6] (09), était un collaborateur attitré d’Insaniyat, comme membre du Conseil de la Revue. Ses lectures et avis concernant les projets d’articles, qui nous étaient soumis et qui relevaient de ses préoccupations de recherche, ont apporté un plus à la pérennité de la Revue. Il nous manquera, certainement. Qu’il repose en paix.

Omar BESSAOUD


Notes

[1]  L’essentiel de ses travaux est publié dans la « Revue algérienne des sciences juridiques, politiques et économiques» de la Faculté de droit et des sciences économiques de l’Université d’Alger

[2]  Aït-Amara, H., Founou-Tchuigoua, B., Introduction générale à l’ouvrage  « L’agriculture africaine en crise dans ses rapports à l’Etat, l’industrialisation et la paysannerie », Paris, Editions l’Harmattan- Préface de Samir Amin, 1989.

[3]  Aït-Amara, H., Quel futur alimentaire pour l’Algérie, Editions Alger, Millefeuilles, 2009, p.11.

[4]  Aït-Amara, H., L’agriculture méditerranéenne dans les rapports Nord-Sud, Editions l’Harmattan- préface de Samir Amin, 1992.

     Aït-Amara, H., Quel futur alimentaire pour l’Algérie, Editions Alger, Millefeuilles, 2009, p.11.  

[5]  Aït-Amara, H., L’agriculture méditerranéenne dans les rapports Nord-Sud, Editions l’Harmattan, 1992, p.23.

[6] On pourra se référer notamment à sa contribution intitulée «  La question agraire aujourd’hui » dans le Numéro 7 (Janvier-avril 1999) d’Insaniyat, portant sur la thématique Paysans algériens, ou sa communication portant sur «  La nation et l’Etat » au colloque organisé en Septembre 2004 par le CRASC et dont les actes ont été publiés en 2008 sous le titre : «  L’Algérie 50 ans après : l’Etat des savoirs en sciences sociales et humaines 1954-2004 », sous la direction de Nouria Benghabrit-Remaoun et Mustapha Haddab, éditions CRASC, 2008.

 

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