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Mondialisation et dynamiques culturelles

N°22 | 2003  | Pratiques maghrébines de la ville | p. 139-157 | Texte intégral


Globalization and cultural dynamics.

Abstract: This article studies the type of relationship between globalization in so much as a system of values and symbols presented as universal, and of enterprise culture concretized in a creation number of organization values.
The author presents several definitions of culture from occupational culture to enterprise culture considering that cultural action concretizes individual integration  in a group and organizes relationships in society, he puts forward the notion of enterprise culture which is related to integration policy and workers motivation in the search for a sense of meaning for human action.
This being done, the searcher tackles the central problem which relates to the local effects of globalization through the Tunisian experience while giving the globalization definition in its French and English concept.
Globalization is determined by four principal operations, competitivity between world powers, new technology acquisition, world productivity expansion, and the barter of modernization.
Then he does a historical account of the Tunisian economic experience, which has gone for nationalization to private enterprise. Subject to serious complex problems the public authorities were obliged to sigh several agreements with I.M.F and the world Bank, and to back up the privatization process of the public sector, which supposes a reorganization of enterprise culture.

Key words : Enterprise culture – Globalization – Organizational values – Culture – New technologies.


Gilles FERRÉOL :  Professeur de sociologie à l’université de Poitiers, directeur du LARESCO-ICOTEM.


Parmi les très nombreuses contributions récemment publiées et abordant, sous un angle sociologique, la problématique d’ensemble de cet ouvrage, deux d’entre elles méritent d’être mises en exergue tant pour la richesse des matériaux brassés que pour la pertinence des analyses et la rigueur de l’argumentation. Nous nous proposons d’en faire une lecture critique susceptible de mieux nous éclairer sur les fondements du lien social, la redéfinition des formes de sociabilité et l’émergence de nouveaux modes de régulation.

Un double processus

Commençons par l’examen d’un volume collectif[1], placé sous la direction de Daniel Mercure et intitulé Une société-monde ?[2] A l’occasion de son XVIe congrès [3] qui s’est tenu au Québec, à l’université Laval, du 3 au 7 juillet 2000, l’AISLF[4] - à travers ce questionnement - entendait poursuivre un double objectif : s’interroger en premier lieu sur « une mondialisation souvent perçue comme inéluctable et considérée avant tout, sinon exclusivement, dans la perspective d’une économie libérale ne connaissant plus de frontières » ; décrypter ensuite « les dynamiques à l’œuvre dans une conjoncture en permanence traversée par des forces à la fois contradictoires et complémentaires de l’universalisation et des particularismes » (SM, 2001, p. XIII), l’accent étant mis sur des processus d’uniformisation et de diversification « marqué par de très fortes tensions entre des vecteurs qui concourent à homogénéiser les sociétés et d’autres qui, au contraire, tendent à accroître les différenciations et à accentuer les singularités » (ibid., p.9).

Afin de bien saisir cette dialectique[5], il paraît judicieux de ne pas se limiter à la multinationalisation des firmes, à la libéralisation des marchés, des capitaux ou des devises mais d’élargir la réflexion en prenant en compte l’essor des technologies de l’information et de la communication [6], les pratiques d’externalisation du travail et, plus généralement, ce que l’on pourrait appeler l’ « impartition flexible » [7].

La terminologie, fait remarquer à juste titre Guy Rocher [8], est ici essentielle, internationalisation, globalisation ou world-system n’étant pas synonymes [9]. Tous les domaines sont peu ou prou concernés : la production de biens et de services, l’organisation politique, les normes juridiques, la culture d’évasion ou de divertissement… Entre chaque « strate » se nouent des rapports complexes[10] d’opposition ou de connivence, d’hégémonie[11] ou de coopération. Les rivalités entre « blocs », estime cependant Immanuel Wallerstein [12], correspondent fréquemment à une logique de « domination », génératrice d’ « oppression » ou de « ségrégation ».

L’image du « rouleau compresseur » doit être toutefois assez fortement nuancée, des résistances ou des remises en cause [13] pouvant s’exprimer avec plus ou moins de violence ou d’intensité comme à Seattle, Davos ou Pôrto Alegre. Au cœur des revendications : la défense de la dignité humaine, des minorités, des exclus, des autochtones… D’où la nécessité, selon Boaventura de Sousa Santos [14], de « réinventer l’idéal d’émancipation » en prenant appui sur la redécouverte du « sens du lieu et de la communauté » ou, dans une optique de « reterritorialisation », sur la valorisation d’ « activités de proximité »[15]. Cela suppose notamment l’ « établissement de règles de reconnaissance réciproque entre entités distinctes »[16], un « réveil des civilisations[17] » et une « réflexivité » [18] plus affirmée.

Le thème de la justice et de l’équité, poursuit François Dubet, est également central. Trois grandes conceptions peuvent être mises en avant. Les deux premières, les plus classiques, se situent :

- soit dans le giron universaliste (face à un type de répartition donné, tous les individus, indépendamment de leur personnalité et de l’environnement dans lequel ils sont insérés, tendent à éprouver un même sentiment à l’égard de telle ou telle valeur) ;

- soit dans la mouvance relativiste (le contexte étant déterminant, le vrai, le beau ou le bien ne sont que de simples données de fait et relèveraient de l’ « arbitraire culturel »).

Quelle que soit leur part de vérité (on ne peut nier, en effet, ni la variabilité des normes, ni l’exigence d’une certaine proportionnalité entre « rétributions » et « investissements »), de telles constructions soulèvent des objections car, comme l’ont pointé Raymond Boudon, Richard Hare ou George Moore, elles restent tributaires d’une vision utilitariste ou sont difficilement compatibles avec le paradigme wébérien de la compréhension [19]. La théorie rawlsienne, en particulier, a dû faire face à deux sortes de critiques : les unes émanant du courant « ultralibéral », les autres émises par les partisans du communitarianism [20].

La troisième approche s’efforce de surmonter ces apories en s’intéressant à des « systèmes d’interaction concrets et singuliers ». Le recours à la théorie fonctionnaliste de la stratification, du moins dans la version « corrigée » ou « expurgée » qu’en a donnée Ralf Dahrendorf, pourrait s’avérer opportun [21]. Un livre de Samuel Popkin en fournit une bonne illustration : la règle de l’unanimité dans les sociétés villageoises traditionnelles ne s’explique pas uniquement par le poids des coutumes ou par la prégnance du groupe mais fait intervenir des contraintes de situation [22].

La critique de la « raison procédurale »[23], souligne Jean de Munck, devient prioritaire si l’on veut éviter tant « l’absurde célébration d’une mondialisation censée ne produire que des bienfaits » que « la dénonciation, légitime mais insuffisante en elle-même, du faux universel qu’elle impose à la planète » (ibid., p. 132). L’heure est désormais aux « mutations » et aux « recompositions »[24], aux « bricolages » et aux « métissages »[25] avec, en toile de fond, la montée en puissance des « localismes » ou des « tribalismes ».

Tous ces phénomènes, fait valoir Giovanni Busino, « créent des interdépendances, morcellent les solidarités, désagrégent les valeurs établies, écrêtent les différences et rendent précaires les politiques publiques » [26], la proclamation que toutes les expressions peuvent être admises et avoir la même respectabilité contribuant à amplifier les désarrois (ibid., p. 167).

L’impact sur certains marchés, comme ceux du travail dans les pays riches, reste en fait difficile à évaluer et, contrairement à ce qu’avancent Patricia Marchak ou Pierre Bourdieu[27], «rien ne prouve qu’il en résulte plus de perdants que de gagnants » (ibid., p.201). S’agissant cette fois de la sphère « émergente » [28], la thèse de l’ « échange asymétrique » - soutenue par Juan Castaingts-Teillery[29] rallie de nombreux suffrages et se focalise sur les écarts technologiques, le pouvoir des monopoles, la subordination des monnaies, l’ampleur des « dépenses commerciales externes »[30] et le contrôle de l’imaginaire social, source de rentes non négligeables.

Dans ces conditions, la mise en place de « garde-fous » est jugée indispensable. La Déclaration de l’OIT, rendue publique le 18 juin 1998 et assortie d’un suivi « promotionnel », constitue un premier pas dans cette direction. Trois principes fondamentaux sont énoncés :

- la liberté d’association et l’exercice du droit de négociation collective ;

- l’élimination de toutes formes de discrimination ayant trait à l’embauche, à la rémunération ou à la protection ;

- l’abolition effective du travail des enfants [31].

En matière de systèmes d’emploi, observe Gregor Murray, le modèle « dual » ou « assistantiel » n’est pas le seul possible ; d’autres scénarios sont concevables en fonction des capacités de mobilisation des acteurs, des jeux d’alliance, du degré d’imbrication dans les réseaux transnationaux ou bien encore de la répartition des gains de productivité [32]. Les firmes peuvent ainsi devenir un « creuset de confrontations et d’interdépendances » à même de promouvoir les compétences, les qualifications et les savoir-faire [33].

Une analyse dite « sociétale », dans le prolongement de celle menée il y a une vingtaine d’années par Marc Maurice, François Sellier et Jean-Jacques Silvestre[34], pourrait ici nous renseigner utilement sur la nature des interactions entre espaces professionnel, organisationnel et éducatif. Le territoire dès lors, envisagé comme un construit historique, « n’est pas tant un cadre qu’une ressource favorisant avec plus ou moins d’efficience l’établissement de relations de coopération » (ibid., p. 263), les « dynamiques d’apprentissage » prenant le pas sur les « cohérences structurelles ». Mais si, comme le pense Alain Touraine, « nous nous tolérons, sans nous accepter »[35], comment concilier la diversité culturelle et l’appartenance commune ? Comment préserver notre propre identité tout en étant ouvert à l’Autre ? Les marges dont on dispose sont des plus étroites, les instances de socialisation – dont l’école – pouvant apporter leur pierre à l’édifice. Prenons, à l’instar de Céline Saint-Pierre, l’exemple de l’institution scolaire. Trois interrogations sont à l’honneur :

- L’éducation, « en son noyau dur, et en son tout », a-t-elle encore, pour paraphraser un Emile Durkheim, un Ferdinand Buisson ou un Louis Liard, les moyens de concourir activement à la « socialisation méthodique des jeunes générations » ?

- Quelles orientations prendre et quelles pédagogies adopter afin de « former le jugement » et d’« éveiller à la raison citoyenne » ?

- Dans quelle mesure les références au « républicanisme » [36] peuvent-elles être adéquates ?

L’avènement de la société-monde[37], conclut Liliane Voyé, n’est pas sans incidence sur les méthodes[38] et les objets [39] de la sociologie, de plus en plus soumise – comme la plupart des sciences humaines- aux contraintes « économicistes » de la recherche (exigences d’immédiateté et de « juste à temps ») [40].

La problématique identitaire

Un second ouvrage[41] sur lequel nous allons maintenant nous pencher permet d’approfondir les réflexions précédentes. Will Kimlicka et Sylvie Mesure en ont assuré la coordination autour du thème des identités[42].

Les communications[43] ont été regroupées en trois grandes parties. La première, intitulée « Figures », nous présente un certain nombre d’études de cas. Lukas Sosoé, tout d’abord, enquête sur l’Afrique noire sub-saharienne et reprend à son compte la délicate question de l’éthnicité [44] en la replaçant dans un contexte de guerres civiles, de massacres, de génocides et de déplacements massifs de populations [45]. Avec Jean-Louis Margolin, les regards se tournent vers le continent asiatique, l’ « instrumentation du confucianisme » [46] - tout spécialement par les dirigeants singapouriens[47] - aboutissant à un « moralisme étroit », combinant « ethnique protestante », « victorianisme triomphant » et « néoconservatisme » (IC, p. 55).

L’islam, autre champ d’investigation exploré par Ridha Chennoufi et Fahrad Khosrokhavar, peut revêtir plusieurs visages [48] et doit, sous peine de sombrer dans l’intégrisme ou le fondamentalisme, être vécu « en harmonie avec les exigences du monde moderne », c’est-à-dire la « liberté de l’individu » et la « laïcité de l’Etat »[49] (ibid., p. 65). Les sociétés antillaises de langue française, telles qu’elles sont analysées par Jacky Dahomay, offrent également un éclairage intéressant. N’ayant pas l’obsession d’un territoire, les cultures créoles – davantage « composites » qu’ « ataviques » [50] - ne sont pas en effet « simplement archaïques » ni « totalement narratives » mais « réflexives » et « ouvertes », constamment réinterprétées et reconstruites [51]. Concernant enfin l’adoption d’une politique de « reconnaissance » des peuples et des minorités, l’exemple québécois peut être très instructif, ne serait-ce que sur un plan linguistique, l’article de Michel Seymour exposant[52] les positions respectives des « libéraux » et des « communautariens » [53].

Après cette mise en appétit, place aux « débats ». Will Kymlicka, d’entrée de jeu, retrace l’évolution des controverses anglo-américaines [54] en matière de justice sociale, de neutralité morale et d’autonomie individuelle. Si, comme le rappelle Jeremy Waldron, la notion d’ « authenticité », l’idée de « différence » et le principe d’ « égale dignité » appartiennent au lexique taylorien[55] et peuvent se révéler fructueux, une conception plus « récréative » de l’identité ethnique [56] - telle qu’elle a été élaborée par Anthony Appia et Amy Guttmann[57] - a aussi toute sa place, l’impératif de responsabilité ne devant pas être négligé[58]. Les décisions prises, ajoute James Tully[59], s’effectuent par « recoupement » ( overlapping) et résultent d’ « arrangements » toujours révisables à partir de revendications formulées autour d’ « allégeances croisées » : « indigénité », nationalité, religion… Cependant, compte tenu de la variété des expériences et de l’hétérogénéité des croyances, la tendance au « désaccord raisonnable » - l’expression est de Charles Larmore – est de plus en plus marquée et n’implique pas – loin s’en faut – un manque de rationalité, l’unanimité signifiant la plupart du temps qu’ « on n’a pas discuté suffisamment » ou qu’ « on n’a pas voulu entendre ce que l’autre disait » (ibid., p. 227).

Comment par ailleurs, et c’est là une préoccupation majeure dans l’œuvre d’Isaïah Berlin [60], réconcilier le « legs des Lumières » avec cette insistance sur la « pluralité des normes et des valeurs » ? (ibid. p. 240). Pour Pierre Birnbaum, la tâche s’annonce délicate et nous sommes encore mal armés pour « apprécier les conditions de mise en œuvre d’un multiculturalisme « civique » et non plus « primordialiste ». De la même façon, s’interroge Dominique Schnapper, le parallélisme entre « droits-créances » et « droits culturels » est-il tout à fait convaincant ? Ne risque-t-on pas d’ « enfermer les individus dans leurs particularismes », de les « assigner à un groupe, fermé sur lui-même » ? (ibid., p. 261). L’instauration d’une « citoyenneté différenciée » ne saurait donc être inconditionnelle. Les couples individu/communauté, un/multiple, résultat/processus s’enchevêtrent et constituent un « nœud identitaire »[61]. Les liens ainsi noués, se réjouit Patrice Meyer-Bisch, créent des « tensions fécondes » conjuguant singularité et influences réciproques. Indissociable de la modernité [62], le métissage, qu’il convient de ne pas confondre avec l’hybridité ou le cosmopolitisme [63], peut être à cet égard un facteur de subjectivation stimulant la créativité et l’innovation même si, nous avertit Michel Wieviorka, les interactions entre le « dedans » et le « dehors », entre « eux » et « nous », ne sont pas toujours des plus idylliques. Quant au « relativisme » [64], l’un des dogmes fondamentaux de la « pensée unique » fort bien dénoncé par Raymond Boudon (ibid., pp. 311-318), mieux vaut ne pas être dupe, le respect de la diversité ne devant pas conduire au « tribalisme ».

Le dernier ensemble de textes est plus morcelé et porte sur l’«identité corse» [65] (Philippe-Jean Catinchi), la « problématique des frontières »[66] (Michel Foucher), les « avatars du sentiment national en Europe »[67] (Jean-Marc Ferry) et les hésitations entourant la « ratification de la charte des langues régionales »[68] (Alain Renaut) [69]

Droit à la différence et quête des universaux

Essayons de tirer les enseignements qui se dégagent de toutes ces lectures. Partons, pour cela, d'un constat : la crise de la laïcité [70], les difficultés socio-économiques et l'essoufflement des modes de régulation traditionnels rendent, de nos jours, de plus en plus complexes les arbitrages entre "lumières universalistes", "engagements communautaires" et "libertés individuelles" [71]. Toutes ces évolutions traduisent la "décomposition d'un système d'action séculaire" : en témoignent la remise en cause de l'Etat- providence, les dysfonctionnements du marché du travail et le déclin de la société industrielle.

Si les sujets de discorde ne manquent pas (songeons à la participation aux scrutins municipaux, aux zones de transit ou aux seuils de tolérance), l'alternative se précise entre une Europe des citoyens et une Europe des minorités[72], l'intégration [73] ne pouvant plus être conçue comme une voie moyenne entre assimilation et insertion mais comme un processus de négociations et de redéfinitions. Si, comme l'ont bien montré Paul Ricœur et Michael Walzer à partir d'une médiation sur les catégories réflexives de "jugement réfléchissant" et de "validité exemplaire", nous ne pouvons pas nous abstraire de ce que nous sommes, nous ne pouvons pas non plus abandonner toute attache à l'universel, un universel "inchoactif" ou "pluriel", fondé sur la « force des convictions »[74]. Celles-ci, n'ayant pas pour vocation de se faire l'écho d' « indignations ritualistes », représentent « notre être, notre foi » et doivent être aussi soumises au feu de la critique[75], tout en sachant que l'échange « n'aboutira jamais à une identification" mais à une « mise en commun » par confrontation des valeurs les unes aux autres dans une « totalité présumée » [76].

Une telle dialectique requiert un dialogue permanent entre les cultures, dialogue qui ne peut manquer d'être conflictuel mais où chacun doit s'engager en étant conscient qu'il a à apprendre de l'Autre [77], en acceptant l'éventualité d'importants changements dans ses attitudes ou ses croyances et en étant ouvert à une dynamique de « transformation mutuelle », au lieu de se complaire dans ses spécificités, aussi grandioses ou séduisantes soient-elles.

Le spectre des positionnements, on le voit, est des plus vastes, allant de la stigmatisation à l'implication, de la nostalgie à l'acrimonie, les "compromis" réalisés reposant sur la « constitution de territoires bien délimités », sur le « respect scrupuleux des distances » et sur des « stratégies de consolidation » très élaborées basées sur des « accommodements » et des « transactions » [78].

A partir du moment où l'homo urbanus- ni pleinement citadin, ni vraiment banlieusard- est dans un "entre-deux", les approches conventionnelles avec lesquelles nous pensions la Cité et, plus spécialement, les formes de civilité ou de socialité qu'on y associait spontanément, peuvent-elles être encore opérationnelles ? Les agglomérations modernes ne suscitent-elles pas, du fait de leur « fragmentation » ou leur « déchirure », l'apparition de « citoyennetés » elles-mêmes éclatées[79] ? L'examen du bien-fondé et de la pertinence de quelques notions clés n’en est que plus urgente.

Revenons un instant sur le relativisme. Celui-ci –de simple principe méthodologique destiné, dans l'esprit des anthropologues du XIXe siècle, à combattre l'ethnocentrisme – s'est paré abusivement, dans certains cercles (notamment parmi les tenants du « droit à la différence »), d'une discussion ontologique qui n'est pas sans équivoques ni contradictions. Car si tout est équivalent, le dogmatisme, le révisionnisme ou la tyrannie deviennent « légitimes », et on peut alors « contextualiser » n'importe quelle atrocité. Or, contrairement à ce que laissent entendre les zélateurs de la « postmodernité » ou de la political correctness, la sensibilité à l'égard d'autrui ne peut être considérée comme un code ou un idéal qui ne serait l'apanage que d'une élite occidentalisée, la quête d' « universaux » ne devant pas être disqualifiée mais encouragée. Nier cette « transcendance » reviendrait à glorifier les pires servitudes[80].

Fondée sur l’opposition être/devoir-être, l’idée kantienne de République n’est pas si éloignée de ces préoccupations puisqu’elle introduit le rationalisme en politique, qu’elle appelle une vision synthétique de la nation conciliant « héritage » et « volonté », et qu’elle promeut la création d’un « espace de communication » au sein duquel prévaut l’ascèse de l’argumentation et de la preuve.

L’ « éthique de l’authenticité » qui sous-tend les positions « communautariennes » souffre, quant à elle, de trop d’ambiguïtés pour fournir une réponse suffisante aux problèmes d’intégration. On gagnerait du temps, assure Alain Pierrot, si l'on reconnaissait les valeurs de liberté dans l'accomplissement de soi, d'égalité dans la « compétition » scolaire ou professionnelle, et de fraternité dans la lutte contre la xénophobie[81].

Si « Je est un autre », si « l'être n'est jamais sa propre raison d'être » et si « le monde est le monde de notre vie à tous », alors - et pour reprendre une formule d'Emmanuel Lévinas – « ce n'est pas l'ordre qui nous constitue, c'est nous qui le constituons », le respect des valeurs de tolérance ou de laïcité étant à même de favoriser l'apprentissage des différences. A l'opposé, certains philosophes nord-américains, tel Richard Rotry, tendent à accréditer la thèse selon laquelle ce qui compte est le « différend absolu » plutôt que l' « entente » ou la « conciliation », le « dissentiment » plutôt que l' « accord », la « singularité » et l' « incommensurabilité » plutôt que l'existence ou la recherche d'un « point commun » [82].

Ce refus d'une « communauté communicationnelle » (chère à l'Ecole de Francfort) nous paraît très dommageable car ceux qui défendent cette position ne saisissent la rationalité (qu'elle soit technico-médicale, juridico-politique ou éthico-religieuse) qu'à travers sa perversion instrumentale et ne peuvent admettre que nous puissions parvenir à une compréhension intersubjective et donc à la formation d'un consensus. En souscrivant à de tels propos et en pratiquant l'amalgame, on perdrait de vue l'un des principaux « acquis » de la rhétorique pérelmanienne, à savoir que « seule l'existence d'une argumentation[83], qui ne soit ni contraignante ni arbitraire, accorde un sens à la liberté humaine, condition d'un choix raisonnable » [84]. On méconnaîtrait pareillement que, le temps d'un dialogue, « il n'y a plus ni juif, ni Grec ; ni esclave, ni affranchi ; ni homme, ni femme » (Epître aux Galates, III, 28).

Le principe d' « universalité », tel qu'il est appréhendé par des auteurs comme John Rawls, Francis Jacques ou Jürgen Habermas, ne mérite pas, selon nous, pareil discrédit mais doit être conforté, qu'il s'agisse d'une « visée contractualise », d'une « philosophie de l’interlocution » ou d’une « éthique de la discussion »[85].

Le tableau ci-après explicite chacune de ces orientations:

Références théoriques

Problématiques

Argumentation

J. RAWLS, 1987

Approche contractualiste (recherche du maximum sous voile d'ignorance)

Les principes du choix social et, partant, les principes de la justice sont eux-mêmes l’objet d’un accord originel.

F. JACQUES, 1985

Philosophie de l'interlocution (lien dialogique)

Le dialogue n’est ni impossible, comme le voudraient les partisans de l’incommensurabilité des théories, ni superflu, comme le croient les tenants de l’université des règles de méthode

J. HABERMAS, 1986

Ethique de la discussion (communauté communicationnelle)

Une norme ne peut prétendre à la validité que si toutes les personnes qui peuvent être concernées sont d’accord (ou pourraient l’être) lorsqu’elles participent à une discussion sur la validité de cette norme

Tous ces débats s'inscrivent dans un contexte marqué par « l'incertitude, l'accélération de la flèche du temps et la restructuration de l'espace sous l'effet conjugué de la révolution informationnelle et des logiques transnationales" [86], l'émergence d'une "société-monde" suscitant de nombreux questionnements. Faut-il ainsi opter pour des appartenances choisies et révocables ou pour des identités héritées et figées ? Comment être à l'écoute des différences tout en ne cédant pas aux surenchères ou aux dérives de type « castéiste » [87] ? Doit-on, pour le dire autrement, s'abriter derrière un « patriotisme constitutionnel » ou militer pour la défense de « droits spécifiques » ?

Quelle que soit l'orientation à laquelle on souscrit, de nouveaux cadres d'analyse s'imposent, les dynamiques culturelles s'insérant dans un « champ notionnel complexe, en plein devenir »[88].

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NOTES

[1] - Désigné ci-après par le sigle SM.

[2] - Sous-titre : Les dynamiques sociales de la mondialisation.- Québec, Presses de l’université Laval / Bruxelles, De Boeck, 2001.

[3] - Quelque huit cents chercheurs, en provenance d’une cinquantaine de pays, ont participé à cette manifestation.

[4] - Association internationale des sociologues de langue française.

[5] - Qui est aussi celle de l’autonomie et de l’interdépendance, du proche et du lointain, de l’injonction et de la transgression…

[6] - Voir, entre autres, l’essai de Nuala Beck (Beck, N. : 1992).

[7] - L’expression, dont la paternité revient à Daniel Mercure (SM, 2001.- p. 86), renvoie à la précarisation, à la sous-traitance et aux délocalisations (Mercure, D. : 1996).

[8] - Celui-ci préfère parler de « globalisme ».

[9] - Cf, les écrits d’Edward Tiryakian, Roland Robertson ou Neil Smeilser (SM, 2001.- p.p. 17-18).

[10] - On pourra se reporter, sur ce point, à Karl Polanyi et aux théoriciens regroupés sous l’étiquette de World Polity. Ces derniers raisonnent en termes de « pôles de diffusion » et stigmatisent le rôle joué, dès la découverte des Amériques, par les colonisateurs, les missionnaires ou les commerçants (Meyer, J. et alii : 1987).

[11] - Celle des Pays-Bas au XVIIe siècle, de l’Angleterre au XIXe et des Etats-Unis au XXe.

[12] - Les fluctuations, est-il affirmé, risquent de devenir « de plus en plus marquées et chaotiques », l’orientation de la trajectoire « de moins en moins certaine » (SM, 2001.- p. 43). Plane alors le spectre de la « désagrégation » : « Nous pouvons nous attendre à une régression dramatique de la sécurité (…). Au fur et à mesure que les structures d’Etat perdront leur légitimité, ce recul aura sans doute pour corollaire une montée de la violence (…). L’issue de la lutte dépendra en partie de la capacité de mobilisation de chaque camp mais aussi, dans une large mesure, de qui produira la meilleure synthèse des évènements auxquels nous devrons tous faire face. Il faudra unifier connaissance, imagination et praxis si nous ne voulons pas avoir à constater (…) que plus ça change, plus c’est la même chose » (ibid.- p. 44.).

[13] - A l’initiative de la société civile ou d’acteurs transnationaux non gouvernementaux tels que les OSI, le P7, Greenpeace, Amnesty International, ATTAC…

[14] - Lequel, plaidant pour une « herméneutique diatopique », distingue quatre cas de figure : le « localisme globalisé » (pensons à la transformation de la langue anglaise en lingua franca), le « globalisme localisé » (incluant les enclaves des zones franches, la déforestation et le saccage massif des ressources naturelles pour payer la dette extérieure), le « cosmopolitisme » (via les réseaux mondialistes) et le « patrimoine commun de l’humanité » (protection des fonds marins, de la couche d’ozone, de l’Amazonie…) (ibid.- p. 52).

[15] - Fondées sur des « relations de face-à-face », tournées vers l’« autosuffisance » et l’« entraide ». Pour certains spécialistes comme Helena Norberg-Hodge ou Christopher Chase-Dunn, il ne s’agit pas nécessairement d’un « repli isolationniste » mais bien plutôt de « mesures de protection » contre d’éventuelles « attaques prédatrices » (ibid.- p. 48).

[16] - L’une des plus importantes peut se formuler comme suit : « Nous avons le droit d’être égaux quand la différence nous infériorise, et différents quand l’égalité nous fait perdre nos racines » (ibid.- p. 56.)

[17] - Le contenu du mot, note Robert Cox, demeure « assez vague » et évoque l’« ensemble des croyances, des attitudes et des comportements qui sont typiques d’un groupe humain et qui forment, pour les membres de ce groupe, leur grille de compréhension » (ibid.- p. 70).

[18] - Celle-ci, précise François Ascher dans son étude des « espaces métapolitains » (issus d’un « processus de métropolisation globale et de sédimentation locale »), caractérise « cet acte de l’esprit qui porte son attention sur ses propres opérations et représentations » (ibid.- p. 81). Cf. les apports de George Mead, Anthony Giddens, Ulrich Beck ou Scott Lash.

[19] - Voir Van Parijs, Ph. : 1991.

[20] - Le tableau ci-dessous synthétise ces critiques (Ferréol, G. sous la dir. de, 2002.- p. 93) :

Type de critique

Courant de pensée

Auteurs représentés

Illégitimité du principe de différence (lequel viole les droits individuels et est dépourvu de fondement philosophique)

« Ultralibéralisme »

Nozick (Anarchy, State and Utopia, 1974, trad. Fr. 1988)

Ambiguïté (voire incohérence) de la notion de sujet : l’individualité (distinctness) ne fait pas suffisamment cas de notre appartenance à la communauté (commonness)

« Communautarisme »

Sandel (Liberalism and the Limits of Justice, 1982)

Mac Intyre (Whose justice? Which Rationality?, 1988, trad. Fr. 1993)

[21] - Cf. Dahrendorf, R. : 1969.

[22] - Interdire ainsi le glanage, c’est condamner à mort les plus pauvres, ceux qui en vivent, d’où l’importance d’un droit de veto (Popkin, S. : 1979).

[23] - Dans ses composantes « naturalistes » (Niklas Luhmann), « déontologiques » (Jürgen Habermas) ou « constructivistes » (Michel Callon et Bruno Latour).

[24] - Par « juxtaposition », « mélange » ou « invention ». Par exemple, « en domestiquant la langue de l’autre (…), on crée de nouvelles sonorités, des variantes mixtes », la tradition pouvant être « oubliée momentanément puis réappropriée » (SM, 2001.- p.p. 162-163).

[25] - Les croyances religieuses, insiste Danièle Hernieu-Léger, n’ échappent pas à cette « dynamique de la subjectivisation ».

[26] - Il serait néanmoins « hasardeux de leur imputer la responsabilité de nos malheurs, d’en faire le pouvoir maléfique par essence » tant « les sociétés peuvent trouver les moyens de réguler les conflits et de les rendre productifs », les choix dictés par les désirs et les intérêts étant « réversibles et éphémères », ceux inspirés par les enracinements, les mythes et les espérances « plus durables et contraignants » (ibid.- p.p. 178 et 180).

[27] - Marchak, P. : 1991 et Bourdieu, P. : 1998.

[28] - En Amérique latine, le Mexique, le Brésil, l’Argentine et le Chili ; en Asie, la Chine, l’Inde, les « tigres » et les « dragons »…

[29] - S’inspirant des travaux pionniers de Samir Amin, Raul Prebisch ou Celso Furtado.

[30] - Comprenons : bakchichs, corruption…

[31] - L’OIT, se demande Michel Hansenne, peut-elle compter sur d’autres organisations, dont l’OMC, pour faire respecter ces droits ? « Comment obtenir une collaboration sans être soupçonné de péché de « conditionnalité » ? » (SM, 2001.- p. 235.) Si l’ «ignorance réciproque et polie » n’est plus de mise, peut-on pour autant se satisfaire d’une simple « neutralité bienveillante » ?

[32] - Ferréol, G. : 1994.

[33] - SM, 2001.- p. 255.

[34] - Ces trois auteurs, alors membres du LEST (laboratoire aixois d’économie et de sociologie du travail) ont tenté, en se basant sur une comparaison franco-allemande des structures industrielles, de dépasser l’opposition classique entre approches universalistes et culturalistes (Maurice, M. et alii : 1982).

[35] - Touraine, A. : 1997.- p.p. 18 et sqs.

[36] - Telles qu’elles ont été exprimées par Danièle Sallenave, Régis Debray, Charles Coutel ou Pierre-André Taguieff. Cf., de ce dernier, La République menacée (Taguieff, P.-A. : 1996).

[37] - A travers la combinaison d’un « espace sans limites, qui tend à se faire virtuel » et d’un « temps ouvert, dominé par l’éphémère et la saisie d’opportunités successives » (SM, 2001.- p. 295).

[38] - Celles-ci doivent suivre « lignes d’erre » et « traverses », lesquelles « vont et viennent », « débordent et dérivent » (ibid.- p. 295).

[39] - En proie, telle la « ville » ou la « religion », à un processus de « désubstantialisation » (ibid.- p. 295).

[40] - Les deux derniers chapitres traitent des « rapports sociaux de sexe » (Ann Denis tirant les leçons des gender studies nord-américaines) et de la « gestion du pluralisme culturel » (Raymond Breton dressant une typologie des dynamiques de différenciation : segmentation, « parallélisme », hybridité, marginalisation…).

[41] - Les identités culturelles.- Paris, PUF, 2000. Cette contribution, qui donne son titre au premier numéro de la revue Comprendre, sera citée sous sa forme abréviative IC.

[42] - La notion est polysémique : elle désigne et exhibe, valorise ou discrimine ; utilisée dans la langue courante, elle fait aussi partie de la psychologie, de la psychanalyse, de la philosophie et, à un degré moindre, de la sociologie. Les formulations que l’on en donne sont des plus diverses et parfois contradictoires. Au-delà de ces divergences, l’accent peut être mis sur un dénominateur commun : la dialectique du même et de l’autre, et sur une double articulation : permanence/ changement ; intériorité/extériorité.

Si certains, à la suite d’Erik Erikson ou de George Mead, y voient un « sentiment subjectif et tonique d’une unité personnelle (sameness) et d’une continuité temporelle » (révélant des besoins de considération, de participation ou d’évaluation), d’autres – plus proches du freudisme – préfèrent évoquer les relations conflictuelles entre le ça, le Moi et le Surmoi, l’approche génétique défendue par Jean Piaget s’intéressant pour sa part au processus de socialisation dans ses dimensions cognitive, affective et expressive. Dès lors, par l’intermédiaire du langage, l’individu assimile et s’approprie tout un système de règles et de codifications lui permettant de communiquer avec ses semblables, de marquer son appartenance à des groupes ou d’en rejeter d’autres (Connolly, W. : 1995 ; Dubar, CI. : 2000 ; Schulte – Tencknoff, I. sous la dir. de, 2000).

[43] - Dix-neuf au total.

[44] - Les interprétations les plus usuelles restent assez insatisfaisantes car trop réductrices. C’est ainsi que la perspective marxiste, privilégiant l’infrastructure, ne peut éviter le piège de l’économisme, reléguant au second plan la question des minorités et refusant de reconnaître aux groupes « leur historicité et leurs pratiques, leur conscience et leur mémoire, leurs institutions et leurs règles » (Juteau, D. : 1999.- p. 16). De son côté, la mouvance fonctionnaliste prête le flanc à de nombreuses critiques et partage un même postulat assimilationniste, les particularismes – si l’on en croit les théoriciens de la modernisation Eisenstadt ou Smelser – étant appelés à disparaître à plus au moins long terme. Quant au point de vue « essentialiste », il ne fait référence qu’à des entités figées, décrétées immuables ou inaltérables, aux contours bien tracés dont on n’aurait qu’à « énumérer et définir les composantes » (ibid.- p. 14)

Les modes de différenciations et de hiérarchisation sociales renvoient, en réalité, à une « distribution inégale du pouvoir, du prestige et des biens » (ibid.- p. 21), les critères d’inclusion et d’exclusion devant prendre en considération des logiques « internes » et « externes », « horizontale » et « verticale », « micro » et « macro ».

[45] - Toujours disponible comme « dernier recours », la carte ethno-régionale demeure très tentante, « ne serait-ce que pour masquer ses propres incapacités » (IC, p.37).

[46] - Cf., Bauer, J. et Bell, D. (sous la dir. de), 1999.

[47] - Voir Diamond, L. et Plattner, M. (sous la dir. de), 1998.

[48] - Idem pour le religieux en tant que « pourvoyeur d’identité », « principe de distinction » et « instrument d’affirmation de soi » (IC, p. 97).

[49] - Gauchet, M. : 1998 et Roy, O. : 1999.

[50] - On retrouve ce clivage chez Edouard Glissant : d’un côté, une identité « rhizome », l’« art du détour et de la ruse » pouvant éviter le basculement dans la marginalité et déboucher sur une sorte de « commensalité » : de l’autre, le culte des « racines » et la « volonté de conquête » (Glissant, E. : 1981).

[51] - Cf. les romans de Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant et, dans une perspective anthropologique, l’essai de Jacques André : L’inceste focal (André, J. : 1987).

[52] - A travers la question : « Dans quelle mesure doit-on (ou non) accorder la priorité du juste (right) sur le bien (good) ? » (Ferréol, G. sous la dir. de, 2002.- p. 11 ; Kymlicka, W. : 1999).

[53] - Ces deux « visions » sont-elles irréductiblement antinomiques ou peuvent-elles, comme nous y convient Benjamin Barber, Quentin Skinner ou Jean-Fabien Spitz, faire l’objet d’un rapprochement ? Cf., pour une discussion d’ensemble, Bellamy, R. : 1999 et Policar, A. : 2002.

[54] - Les partisans des droits minoritaires passant désormais à l’offensive (voir Kymlicka, W. et Wayne, N. sous la dir. de, 2001).

[55] - Taylor, Ch. : 1998.

[56] - Visant à « reconnaître la contingence », à « s’engager dans un jeu de miroirs » et à « se distancier » (IC, p. 177).

[57] - Appiah, A. et Guttmann, A. (sous la dir. de), 1996.

[58] - « Chacun a le devoir de faire en sorte que ceux qui vivent autour de lui (…) parviennent à s’entendre, ainsi qu’à mettre en place, à préserver et à faire fonctionner les structures légales nécessaires à la paix et à la résolution des conflits » (ibid.- p. 173).

[59] - Lequel, reprenant le flambeau du « constitutionalisme », remet au goût du jour quelques règles « canoniques » : quod omnes tanguit (ce qui concerne chacun d’entre nous doit être accepté par tous), audi alteram partem (écoute toujours l’autre partie)… Cf. Tully, J.: 1995.

[60] - Voir tout particulièrement Vico and Herder (Berlin, I. : 1975).

[61] - Notre identité est, en définitive, le « produit énigmatique de dynamiques potentiellement antagoniques, en vertu desquelles chacun ne peut dire « je » qu’en pensant « nous » (Mesure, S. et Renaut, A. : 1999.- p. 12).

[62] - Dès sa phase initiale, à l’époque des Grandes Découvertes.

[63] - Cf., sur ces distinctions, Gruzinski, S. : 1999 ; Lacorne, D. : 1997 ; Wieviorka, M. et Ohana, J. sous la dir. de, 2001.

[64] - Au sens large, celui-ci est la reconnaissance de la diversité : un code ou une sanction n’ayant de signification qu’à l’intérieur d’un environnement donné, il n’est pas d’institution qui soit supérieure à d’autres. Cette reconnaissance est devenue, à notre époque, un lieu commun : il ne se trouve plus fort heureusement grand monde pour traiter les Azandé, les Bororo ou les Fang d’«attardés» ou de « purs sauvages ».

A partir de ces prémisses difficilement contestables sont venues se greffer des connotations éthiques et épistémologiques. Le volet « moral » décrète l’impossibilité de jugements normatifs. Si toutes les cultures se valent, les notions de bien et de mal, de vrai et de faux ne sont pas univoques et dépendent du cadre spatio-temporel. La variante dite « scientifique » va encore plus loin : découvrir des « universaux » ou énoncer des généralisations serait impossible, toute valeur n’étant qu’une ethnovaleur.

A la fin des années soixante-dix, d’aucuns – à la suite de Paul Feyerabend – en ont conclu que la seule règle qui s’imposait ne pouvait être que celle du « tout est bon », le savoir étant à mettre sur un même pied que le vaudou, la magie ou l’ésotérisme (Feyerabend, P. : 1988).

[65] - Qualifiée de « brouillée » (IC, p. 345), l’ « engagement culturel » pouvant toutefois changer la donne. Cela supposerait que les insulaires « renoncent à jouer des rôles convenus dans des registres et mises en scène qui leur échappent » (ibid..- p. 348).

[66] - Celles-ci n’ont rien de « naturel » mais sont des «constructions humaines », obéissant à des considérations géopolitiques. CF. Simon-Barouh, I. et De Rudder, V. textes édités et présentés par, 1999 ; Warnier, J.-P. : 1999 et Wieviorka, M. sous la dir. de, 1996.

[67] - Avec, en arrière plan, le rapport à l’histoire et à la civilisation, au droit du sol et au droit du sang, au patrimoine et à la mémoire (cf. Camilleri, C. et Emerique, M. sous la dir. de, 1989).

[68] - Par exemple, « la Sécurité sociale doit-elle fournir des formulaires en breton ? Le Code civil doit-il être traduit en occitan ? Faut il qu’un procès puisse se dérouler en basque ou en picard ? » (IC, p. 381). Cf., pour une confrontation des arguments en présence, Chanet, J.-F. : 1996.

[69] - A signaler, en fin de volume (IC, p.p. 401-418), une très riche bibliographie thématique.

[70] - Cf. Amselle, J.-L. : Face à l'innovation identitaire, […] à la recomposition d'ethnies ou de communautés, la laïcité républicaine, liée à une conception atomistique de la citoyenneté, craque de toutes parts […] et se trouve écartelée entre la défense du droit des peuples et celle des droits de l’individu.- 1996.- p. 178

[71] - Bourque, G. et Duchastel, J. : 1996.

[72] - Costa-Lascoux, J. et Weil, P. (sous la dir. de), 1992.

[73] - Celle-ci « ne se décrète pas » mais « motive une coordination des actions » et « est nécessairement multilatérale et pluridimensionnelle ». Cinq « piliers » lui correspondent : l'égalité de traitement, la lutte contre les discriminations, la mise en place de politiques socio-éducatives, l'obtention de la nationalité du pays de résidence et l'octroi des droits de vote et d'éligibilité aux instances municipales (Costa-Lascoux, J. : 1992.- p. 69).

[74] - Ricoeur, P. : 1990.- p.p. 279 et sqs ; Walzer, M. : 1983.

[75] - « Recueillir l'héritage brut que nous ont transmis les laïcs historiques, en faire le bilan, (…) identifier les traces institutionnelles qu'il a laissées, l'exposer à l'hommage de nos contemporains en réclamant d'eux qu'ils le contemplent avec le respect que l'on doit à tout ce qui est d'origine, constitue de toute évidence une tâche nécessaire mais qui reste largement insuffisante […]. Il faut aller au delà et faire vivre les valeurs de ce patrimoine […]. Sans cela, l'effort de mémoire réduirait son objet à n'être qu'une pièce de musée » (Boucher, G. : 1996.- p. 161.)

[76] - Hassner, P. : 1992.- p. 109.

[77] - L'un des problèmes fondamentaux des systèmes politiques modernes est celui de l'équilibre entre l'altérité et la civilité. Les deux concepts ne sont pas logiquement exclusifs « puisque le second ne peut exister sans le premier » (Leca, J. : 1992.- p.p. 32-33).

[78] - Costa-Lascoux, J. et alii (sous la dir. de), 2000.

[79] - Ne renonce-t-on pas alors à « une certaine figure du Politique, censée unifier des intérêts partiellement contradictoires d'individus et de groupes » ? (Merle, P. et Vatin, F. sous la dir. de, 1995.- p. 10).

[80] - Brown, D. : 1991 et Wilson, J. : 1995.

[81] - Pierrot, A. : 1997.

[82] - Bouveresse, J. : 1984.- p. 128.

[83] - Argumenter revient ainsi à « chercher en soi-même, et non plus dans une extériorité divine ou cosmique (…), des raisons de justifier une opinion qui vaille aussi pour autrui » (L. Ferry : 1991.- p.p. 5-6).

[84] - Perelman, Ch.: 1958.- p. 262.

[85] - Ferréol, G. sous la dir. de, 1998.

[86] - Elbaz, M. et Helly, D. sous la dir. de, 2000.- p. 1.

[87] - En référence aux politiques dites de « réservation » menées en Inde depuis une cinquantaine d'années (cf. A. Béteille, 1992)

[88] - Costa-Lascoux, J. sous la dir. de.- 2000.- p. 14.

 

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